À Pontevedra, on change le monde à pied

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    En partenariat avec La Lettre de l’Ecolonomie

    La mobilité peut se révéler un accélérateur de démocratie et d’empowerment citoyen, surtout lorsqu’elle replace l’humain au cœur de la politique de la ville. C’est le cas de Pontevedra en Espagne, qui a fait le pari d’une ville où le piéton est roi.

    Metrominuto-Pontevedra-2

    Permettre au citoyen de reprendre possession de l’espace urbain. C’est le pari qu’a fait Miguel Anxo Fernandez Lores, maire de Pontevedra, une ville de 83 000 habitants en Galice, à quelques kilomètres de la frontière du Portugal (l’équivalent d’une ville comme Poitiers en France). Élu depuis 1999, ce membre du parti social démocrate, le Bloque Nacionalista Galego (BNG) a souhaité réinsuffler de l’humain et de la vie dans la ville en la rendant accessible à tous, notamment aux plus fragiles : enfants, retraités et handicapés. Exit les feux, les voies de circulation et le stationnement  dans la ville intramuros : ce dernier est gratuit à la périphérie, au maximum à une dizaine de minutes à pied de l’hypercentre. Place désormais à un espace épuré sans obstacles ni barrières, à un éclairage urbain optimisé, aux bancs, à des espaces végétalisés et à des aires de jeux. Ici, promeneurs, cyclistes, flâneurs, têtes blondes, skateurs et autres cheveux gris règnent en maître. Les automobilistes n’avaient qu’à bien se tenir.  Récompensée pour cette initiative de mobilité en 2013 par la réseau Intermodes qui organise chaque année à Bruxelles le Congrès européen dédié à l’intermodalité du transport de voyageurs, la ville de Pontevedra fait figure de pionnière dans l’Union européenne. Elle propose le premier réseau à mobilité douce à l’échelle d’une ville de 80 000 habitants et s’inscrit ainsi dans le cadre des engagements internationaux de l’Union européenne dans  la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Elle répond également aux critères d’une directive européenne qui fixe au 1er janvier 2015, l’égalité des droits et des chances de chacun, en particulier à travers l’accessibilité des transports, de la voierie et des bâtiments.

    « L’espace public doit être une continuation de notre propre maison, disait l’architecte catalan Ildefons Cerdà », rappelle Miguel Anxo. Car le rêve de ce maire pas comme les autres, c’était effectivement de réintroduire de l’harmonie dans sa ville, d’offrir un espace urbain où les enfants seraient libres de jouer où bon leur semble et où les poussettes et autres parapluies pourraient se croiser dans la rue sans se gêner. Dans le monde de Miguel, c’est désormais le piéton qui envahit l’espace de la voiture, autorisée toutefois à circuler dans l’hypercentre dans un espace très restreint et réglementé :  la limitation de vitesse a été fixée à 20 et 30 km/h, et ce dans un espace limité. Pourtant, Pontevedra, avant de devenir ce qu’elle est aujourd’hui, revient de loin. Ses habitants racontent que le centre historique était mal famé. Quant aux trottoirs, ils étaient devenus des places de stationnement. Trafic, bruit, accidents, pollution, rythmaient le quotidien de cette ville qui n’avait ni vélos ni accès pour les personnes handicapées.  Située entre Vigo et Saint-Jacques-de-Compostelle, Pontevedra était fragmentée par de grands axes  d’entrée et de sortie. Plus de 27 000 voitures transitaient chaque jour par la plaza de España.

    Un plan de métro mais… piétonnier

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    Ce n’est pas un hasard alors si Miguel Anxo Fernandez Lores a imaginé ce modèle urbain et social. Pour ce médecin généraliste, la marche à pied – en plus d’être un excellent outil de lutte contre l’obésité, le cholestérol et les maladies cardio-vasculaires – permet le lien social et davantage de démocratie : « L’espace public appartient à tout le monde. Quand on marche, nous sommes tous égaux », insiste-t-il. Alors, pour inviter ses concitoyens à parcourir les fameux 10 000 pas par jour recommandés par l’OMS, il a mis en place le Metrominuto : sorte de clin d’œil au plan de métro mais… à pied. Assorti d’une application smartphone, Metrominuto détaille les distances et les temps de trajets dans la ville. Il faut ainsi 14 minutes à pied pour se rendre de la gare à la plaza Peregrina, au centre ville. Sans oublier Pasominuto, un plan de déplacement de vingt itinéraires : cette carte précise le nombre de pas et de calories dépensées selon les distances parcourues. La prochaine étape : proposer une carte regroupant les itinéraires vélos dans un rayon de 20 km autour de la ville. Aujourd’hui, 70% des déplacements sont effectués à pied ou à vélo, la pollution a baissé de 61%. Le trafic routier a diminué de 90% dans l’hyper centre et de 69% dans la partie centrale de la ville. Quant aux accidents impliquant l’intervention de la police, le nombre est passé de 1203 en 2000 à 484 en 2014.

    La ville des enfants

    ©Robert Doisneau
    ©Robert Doisneau

    Ainsi, proposer une transition vers une citoyenneté active et autonome grâce à une occupation alternative de l’espace urbain, cela commence dès l’enfance. À Pontevedra, tout est pensé pour initier les enfants à être de futurs citoyens libres et créatifs. Avec son équipe, le maire s’est inspiré d’un ouvrage intitulé « La ville des enfants », écrit par Francesco Tonucci, pyschopédagogue italien. Selon ce dernier, les villes doivent être pensées pour la protection des enfants, notamment à travers leur mobilité. L’idée est de leur offrir une ville dans laquelle ils puissent jouer et s’épanouir, en toute liberté. Le sous titre du livre de Tonucci est d’ailleurs révélateur : « Perdonar las molestias, estamos jugando para vosotros » (Pardon pour le dérangement, nous sommes en train de jouer pour vous). Il milite notamment pour que les petits se rendent seuls à l’école, à pied ou à vélo. Ainsi, dans la petite ville galicienne, chaque jour, une trentaine d’agents de sécurité travaillent à différents points stratégiques de la ville pour protéger les bambins des voitures qui circulent encore en dehors du centre historique. Un label a d’ailleurs été créé pour rassurer les parents : 200 points d’aide appelés « aqui ajuda » en galicien, reconnus par un autocollant vert, ont été négociés avec des commerces de proximité, au cas où les enfants auraient besoin de demander leur chemin. Et le modèle fonctionne : les enfants sont autonomes à partir de 7-8 ans, ils marchent seuls dans la rue après l’école, jouent dans les espaces publics parfois même sans la surveillance des adultes.  « Des études ont montré que les enfants qui se rendent à pied à l’école ont de meilleurs résultats scolaires », affirme le maire.

    Un laboratoire en Europe

    Quoi qu’il en soit, pousser les citoyens à sortir de chez eux ne peut qu’être un outil de cohésion sociale et de dynamisme économique. Force est de constater que les places et les terrasses de Pontevedra fourmillent de gens et d’activités. À l’instar des slow cities (les villes lentes en Italie, qui militent pour la lenteur, le retour du commerce de proximité et du kilomètre zéro), les villes piétonnes redynamisent l’économie locale et améliorent la qualité de vue. Cette tendance, Adrian Vasquez, un jeune de 25 ans qui était au chômage, l’a bien compris. Il a lancé sa petite entreprise de livraison à vélo et le succès a été tel qu’il a dû embaucher. D’ailleurs, on assiste à des scènes surréalistes dans les ruelles de Pontevedra, où les citoyens se baladent avec le caddie de la supérette de quartier pour déposer leur course, à défaut d’utiliser la voiture. Pontevedra est d’ailleurs la ville qui a le plus de commerces de proximité en Galice. Le maire n’autorise plus de nouveaux projets de grandes surfaces à l’intérieur de la ville, ni à la périphérie. Ainsi aura-t-il fallu 15 ans à Miguel Anxo Fernandez Lores pour finir de concrétiser cette utopie et convaincre ses concitoyens du bien-fondé de son rêve. La bonne nouvelle, c’est qu’il pourrait faire figure d’exemple pour inspirer d’autres villes européennes, comme Bastia en Corse, ville de passage elle aussi, à l’image de Pontevedra dans les années 1990. En attendant, 83% des Européens continuent de préférer la voiture pour se déplacer, alors que 30% des trajets effectués en voiture en ville couvrent des distances de moins de 3km, 50% moins de 5 km ! », déplore le réseau Intermodes. Il nous reste donc encore du chemin à faire pour changer le monde en usant nos souliers.

     

    Par Valérie Zoydo

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    3 Commentaires

    1. Merci pour cet article, qui m’ouvre des perspectives d’évolution ! Tout est possible, surtout quand on élit des personnes qui osent… Petite remarque sur les parcours de 3 km qui se font ‘quand même’ avec la voiture, je suis allée chercher ma fille à la crèche à pied aujourd’hui, 3 km en grande montée, 3/4 d’h… ça va bien car j’étais en congé… le reste du temps ça serait compliqué à gérer, et pas de transport en commun dans ma campagne ;-(.

    2. Bonjour! Merci pour ce bel exemple d’urbanité et de vie en commun. Je vis depuis 18 mois aux Etats-Unis et la prédominance de la voiture est encore plus flagrante…Le cas des enfants me tient particulièrement à coeur.

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