Acheter des forêts pour les protéger

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    Coupes rases, biodiversité et sols malmenés… Face à la sylviculture intensive et au manque de protection étatique, des citoyens s’engagent et achètent des forêts pour leur épargner une exploitation excessive. Un mouvement incarné par une vingtaine de collectifs nés ces trente dernières années1, sans compter les initiatives naissantes et personnelles.

    Abritant une biodiversité particulière, la forêt est définie officiellement comme une étendue d’au moins 50 ares, couverte d’arbres capables d’atteindre une hauteur de plus de 5 mètres, pour une densité d’au moins 10 %2. Les statistiques internationales se basent sur cette définition simplifiée pour estimer que le territoire métropolitain est recouvert d’un tiers de forêts, soit près de 17 millions d’hectares, et que cette surface augmente d’environ 80 000 hectares chaque année depuis 19853. Mais ces étendues sont loin de correspondre à l’image bucolique des vieilles forêts sauvages.

    En réalité, la moitié de la surface forestière est constituée de peuplements monospécifiques4, et 80 % des arbres ont moins de 100 ans. « On reproduit en forêt ce qu’on a fait en agriculture il y a cinquante ans : on la traite comme un champ de carottes !, dénonce Nathalie Naulet, du Réseau pour les alternatives forestières. Ces plantations n’ont pas pour but de préserver la biodiversité, mais de faire du fric. Les arbres sont plantés de façon rectiligne, coupés quarante-cinq ans plus tard, à l’âge où ils commencent seulement à redonner au sol ce qu’ils ont pris, et ils sont abattus par des machines pesant plusieurs tonnes qui détruisent la vie du sol. » L’autre problème, c’est que la forêt est considérée comme un livret d’épargne. Parmi les grands propriétaires, détenant plus de 25 hectares, on trouve donc des banques, assurances, fonds de pension… « La loi ne va d’ailleurs pas dans le sens d’une protection de la forêt, ajoute Nathalie Naulet. On peint tout en vert, mais on pousse vers l’industrialisation. » En France, les coupes rases [lire page 31] sont toujours autorisées, les agents de l’ONF sont de plus en plus dépouillés de leurs pouvoirs de préservation [lire encadré] et seulement un quart de la surface forestière est public.

    La propriété privée, plus forte que tout

    Choqués par les coupes rases ou sensibles à la préservation de la forêt, des citoyens optent pour une solution radicale : acheter des parcelles forestières. « Le mode de protection le plus efficace qui existe, affirme Gilbert Cochet, pionnier de ce mouvement. Faire du lobbying auprès des pouvoirs publics ne suffit pas. » Le naturaliste l’illustre par deux exemples : « Pour créer la Réserve naturelle nationale des Gorges de l’Ardèche, il a fallu au moins dix ans : monter des dossiers, rédiger un règlement… c’est très compliqué. Et même si le territoire est classé en réserve ou parc national, la propriété privée est supérieure au degré de protection. Ainsi, il y a un peu plus d’un an, un bout de forêt a été coupé à blanc dans la Réserve naturelle des Ramières, dans la Drôme, en toute légalité, car il s’agissait d’une parcelle privée. » Quant aux Réserves biologiques intégrales5, part de forêt publique laissée en libre évolution, rien ne garantit leur pérennité en cas de changement de politique. « Pour construire des autoroutes, l’État exproprie facilement, fustige Gilbert Cochet, mais quand il s’agit de protéger la nature, il ne le fait pas ! Je ne comprends pas pourquoi celui qui détruit est puissant. »

    Laisser la nature évoluer librement

    Avec sa compagne, Béatrice Kremer-Cochet, le naturaliste mène depuis trente ans des opérations d’acquisition via différentes associations : Forêts sauvages, Nature Haute-Loire, Association pour la protection des animaux sauvages (ASPAS) notamment. Une surface estimée à 1 500 hectares classée en protection intégrale : pas de chasse, de pêche, ni de pâturage autorisé, seule la promenade est tolérée sur les sentiers balisés, chiens tenus en laisse : « Sans considérer que toutes les forêts doivent être protégées à ce niveau, nous pensons qu’il est important de laisser à la nature des espaces pour évoluer librement, explique Gilbert Cochet. Arrêtons de croire que l’Homme doit gérer les forêts. Elles n’ont pas besoin de nous ! La preuve : sur certaines parcelles, nous avons pu observer que la forêt arrive à lutter naturellement contre la pyrale du buis. »

    L’achat des terrains est financé de deux façons : grâce aux dons de fondations ou de la société civile. Pour acquérir la réserve de 500 hectares baptisée Vercors Vie sauvage dans la Drôme, l’ASPAS a levé plus de 2 millions d’euros : « Il y a une énorme attente de la part des citoyens, estime Gilbert Cochet. Puisque l’État n’arrive pas à protéger les forêts, mieux vaut se débrouiller seuls ! » Les terres appartiennent donc à des organisations, dont les chartes les protègent durablement. Outre l’association, d’autres statuts existent pour acheter collectivement des forêts, dont le groupement forestier : les adhérents sont sociétaires et financent les achats grâce à leur épargne.

    Faire front à la sylviculture conventionnelle

    Qu’importent les statuts, le parcours de ces collectifs est semé d’embûches. En tentant d’acquérir une parcelle forestière, l’association corrézienne Faîte et racines a été victime d’ingérence de la part de l’État. En juin 2019, à quelques jours de la signature de l’acte de vente, celle-ci est suspendue par le propriétaire. Le média en ligne Basta ! 6 révèle que des gendarmes et agents des renseignements se seraient rendus chez le propriétaire pour lui conseiller de ne pas vendre à l’association d’« anarchistes écologistes » susceptibles de « mener des nuisances dans la région ». De son côté, la présidente de l’ASPAS, Madline Rubin, dit faire régulièrement l’objet de menaces de mort7. « Il y a une pression de la filière conventionnelle qui fait un peu peur, confirme Nathalie Naulet. On essaye de décrédibiliser les méthodes alternatives. » Pour faciliter l’accès à la forêt, le RAF a créé le fonds de dotation Forêts en vie : « Le but est d’utiliser la puissance de frappe du réseau pour acheter plus facilement des parcelles, et notamment celles de taille conséquente. Au total, nous souhaitons conserver 25 % de nos surfaces en libre évolution, mais le reste pourra être loué, grâce à un bail spécifique, à des porteurs de projets partageant nos valeurs. L’idée étant de recréer des activités forestières locales. »

    Les Français ne sont pas les seuls à se mobiliser : au Belize, en Amérique latine, une coalition d’organisations internationales écologistes vient d’acquérir 950 kilomètres carrés d’une des dernières forêts vierges au monde8. En Suisse, l’association ProNaturA protège 267 kilomètres carrés d’espaces naturels, un peu plus de deux fois la ville de Paris. Autre exemple : le National Trust, au Royaume-Uni, est propriétaire de la quasi-totalité du littoral britannique9. Preuve que les citoyens peuvent reprendre la main sur l’avenir des forêts !

    1. Source : Réseau pour les alternatives forestières.
    2. Définition de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture.
    3. Inventaire forestier national.
    4. Dans un peuplement monospécifique, une essence représente plus des trois quarts du couvert des arbres.
    5. Les RBI représentent près de 22 000 hectares en Métropole. Source : ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation.
    6. https://www.bastamag.net/foret-coupe-rase-action-de-preservation-ecologie-services-de-renseignement-gendarmerie
    7. https://radioparleur.net/2020/09/10/chasseurs-lobby-pensez-les-luttes/
    8. « Au Belize, des écologistes achètent la forêt pour la protéger pour l’éternité », Courrier international, 22 avril 2021.
    9. Gilbert Cochet et Stéphane Durand, Réensauvageons la France. Plaidoyer pour une nature sauvage et libre. Actes Sud, 2018.

     

    Encadré

    L’ONF impuissant ?

    Les forêts publiques représentent un quart de la surface forestière nationale et sont, en majorité, gérées par l’ONF, dont les agents ont de moins en moins la possibilité de s’opposer à une gestion productiviste. La loi d’accélération de la simplification de l’action publique, dite loi ASAP, publiée au Journal Officiel en décembre 2020, encourage le recrutement de salariés de droit privé. Or, ces derniers sont moins en mesure d’agir selon l’éthique du code forestier, dont le but est la conservation des forêts régaliennes. Ce que dénonce Loukas Benard, garde forestier et secrétaire national CGT de l’ONF : « Les fonctionnaires sont sous l’autorité du procureur de la République et non de leur hiérarchie à l’ONF, contrairement aux contractuels. Ils ont un droit de réserve ainsi que de retrait et peuvent également verbaliser des marchands de bois qui ne respecteraient pas le code. Cette mission de police est plus délicate pour des salariés de droit privé, moins protégés par leur statut. » S’ajoute à cela la réduction des effectifs : de 16 000 agents dans les années 1980, l’ONF est passé à environ 8 000 équivalents temps plein fin 2020, d’après la CGT. « Nous avons l’impression que le seul intérêt du gouvernement est de vendre du bois et à moindres frais, s’inquiète Loukas Benard, alors que le rôle de l’ONF est également de préserver l’environnement et d’assurer l’accueil du public. On nous demande de renforcer notre présence sur les réseaux sociaux, comme si nous étions la caution écologique de l’État, qui priorise en réalité la dimension économique. C’est du greenwashing ! »

     

    J’achète ma forêt, mode d’emploi

     Pas besoin d’être un professionnel pour acheter une forêt. En France, trois quarts des zones forestières sont privés et même si la tendance est à la concentration, près des deux tiers des propriétaires possèdent moins de quatre hectares1. Des terrains, qui dépendent de régimes spéciaux et dont les subtilités méritent quelques conseils pratiques.

     TROUVER UN TERRAIN

    Outre les sites internet de petites annonces, ceux de l’ONF et des cessions immobilières de l’État répertorient des maisons forestières ainsi que des bois publics à vendre partout en France. Des bonnes affaires sont à guetter sur le site web des enchères publiques. La Safer, l’organisme d’État qui a pour but de faciliter l’achat de terres agricoles par des porteurs de projets, répertorie sur son site, proprietes-rurales.com, tous les biens à vendre, dont certains peuvent être acquis sans vocation agricole première. Si vous avez identifié une parcelle précisément, vous pouvez chercher ses références en mairie, au service du cadastre des impôts ou sur les sites en ligne cadastre.gouv.fr ou geofoncier.fr, avant de demander le nom du propriétaire à ces mêmes organismes. À l’initiative des centres régionaux de la propriété forestière (CRPF), certains départements ont mis en place des bourses foncières forestières dans lesquelles sont cartographiées les parcelles à la vente. Il existe également une dizaine d’agences immobilières spécialisées.

    FINANCER SON PROJET

    Les prix de vente sont très hétérogènes, surtout pour les petites forêts. En 2019, le prix moyen à l’hectare était de 4 190 euros2. Il existe par ailleurs une taxe foncière sur les propriétés non bâties. Vous pouvez choisir de financer votre terrain seul : via votre épargne ou un prêt personnel, mais vous pouvez aussi choisir de mener un projet collectif. Les différentes formes de propriété collective (association, groupement, etc.) permettent de bénéficier de dons ou de l’épargne citoyenne, en fonction du statut juridique choisi.

    DÉFINIR LES RÈGLES

    Chaque forêt a un propriétaire, qui l’est de tout ce qui constitue sa forêt. De fait, ramasser des champignons ou des châtaignes dans une forêt privée est un vol qui peut coûter cher : de 135 euros à 45 000 euros et trois ans de prison. À vous de choisir ce que vous souhaitez autoriser et interdire sur votre terrain : cueillette, chasse, bivouac… Des panneaux, en évidence aux entrées de la forêt, suffisent souvent pour afficher cette réglementation.

    SE FORMER

    La gestion forestière implique de très nombreuses activités : analyser la forêt, son contexte géographique, son histoire, rédiger un plan simple de gestion (obligatoire à partir de 25 hectares), suivre le développement et l’état sanitaire, entre autres missions relatives au but poursuivi. Pour se former, le RAF propose des stages et des initiations à différentes techniques : utilisation d’une tronçonneuse, débardage à cheval… Les CRPF proposent également de nombreuses formations à destination des propriétaires forestiers.

    1. Source : Agreste, décembre 2015.
    2. Source : Société forestière, « Indicateur du marché des forêts en France 2020 ».

     

     

    Pour aller plus loin :

    • Pascale Laussel, Marjolaine Boitard et Gaëtan du Bus de Warnaffe, Agir ensemble en forêt. Guide pratique, juridique et humain, Éditions Charles Leopold Mayer, 2018.

     

     

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