Le 27 juin prochain le Sénat examinera une proposition de loi qui plaide pour l’introduction de 20% de bio dans les cantines d’ici 2022. Dans une tribune, le sénateur écologiste Joël Labbé et l’adjoint au maire de Mouans-Sartoux (06), Gilles Pérole, appellent les élus de l’hémicycle à soutenir la volonté des citoyens, favorables à 90% au bio dans les cantines.
TRIBUNE
Le retrait par le Sénat de l’objectif de 20% de produits bio dans la restauration collective à l’horizon 2022 est un nouveau camouflet porté au sens de l’histoire. Pendant combien de temps encore une minorité d’élus fera-t-elle barrage aux attentes de la population de manger bio, local, sain et juste ?
Leur attitude en commission sur l’étude de la loi Alimentation a été décevante ! Pourquoi une poignée de sénateurs reste-t-elle aussi hermétique aux évolutions de société et aux désirs des citoyens qui sont à 90% intéressés par le bio à la cantine (sondage Agence Bio) ?
Jeudi 14 juin, le groupe majoritaire des sénateurs LR a dépouillé la loi issue des États généraux de l’Alimentation de l’un de ses principaux arguments : celui-ci plaidait pour l’introduction de 20% de bio dans les assiettes de la restauration collective d’ici à 2022. C’est le précieux article 11 de la loi Agriculture Alimentation, que les députés venaient de valider unanimement, le 30 mai dernier. Ce camouflet n’est ni plus ni moins qu’une réédition de 2016, lorsque la députée Brigitte Allain avait proposé d’introduire par la loi le bio et le local à hauteur respectivement de 20 et 40%, dans un délai raisonnable. Une proposition alors votée à l’unanimité par l’Assemblée nationale, mais retoquée pareillement par des sénateurs rivés à des positions décidément aussi stables qu’inintelligibles.
Pourtant, nous, Joël Labbé*, sénateur du Morbihan, et Gilles Pérole*, élu local à Mouans-Sartoux (06), sommes persuadés que l’on finira bien par faire bouger les lignes sur le bio et le local dans les cantines, loin des pétitions de principe et des postures qui n’honorent ni leurs auteurs ni les représentants des causes qu’ils croient défendre, parfois seuls contre tous…
L’alimentation durable ne relève pas d’une lubie. Elle permet une vraie prise en compte des enjeux de santé. Elle intègre l’évaluation des conséquences de la production agricole sur l’environnement, la biodiversité et le réchauffement climatique. Il nous faut relever le défi de manger mieux en restauration collective, en suivant la dynamique porteuse du secteur bio (plus de 10% de croissance depuis quinze ans), réputé par ailleurs bon pourvoyeur d’emplois selon l’Agence bio. Et en suivant, aussi, les nouvelles recommandations nutritionnelles officielles. N’est-ce pas le Programme national nutrition santé (PNNS) 2018-2022 qui fixe l’objectif d’« au moins 20% de consommation bio de fruits, légumes, produits céréaliers et légumineuses pour l’ensemble de la population française » ?
Le bio local : pas plus cher ni difficile à trouver
20% de bio dans les assiettes des cantines, un objectif hors d’atteinte ? Bien sûr que non. Il suffit de battre en brèche les deux idées reçues principales qui ont décidément la peau dure… jusqu’au palais du Luxembourg.
- Le prix. Manger bio serait plus cher et porterait atteinte aux budgets des collectivités comme au porte-monnaie des familles. C’est faux. En 2017, l’Observatoire national de la restauration collective bio et durable, créé par l’association Un Plus Bio, a démontré que les collectivités locales engagées dans des menus composés pour 20% de produits bio font face à un coût matière de 1,80 euro. Oui, un repas à 20% bio servi à la cantine coûte moins de 2 euros hors taxe, lorsqu’un repas conventionnel est estimé entre 1,50 euro et 2 euros (source : Agores). Pour maîtriser les coûts, il suffit de faire évoluer ses pratiques d’achats, réduire le gaspillage alimentaire et composer de nouveaux menus…
- La difficulté d’approvisionnement. C’est devenu une rengaine maniée avec un peu trop d’aisance par les sénateurs, qui ne semblent pas s’intéresser aux changements en cours dans les filières agricoles. Manger bio se ferait au détriment de manger local et ne servirait pas l’économie des territoires car il faudrait massivement recourir aux importations. Mais personne ne s’enquiert des conditions de circulation des produits non bio, largement importés, qui saturent les ports et les autoroutes du monde entier pour atterrir tranquillement dans les assiettes des cantines !
Sur la base de l’exemple de la régie municipale agricole de Mouans-Sartoux qui fournit 85% des légumes bio consommés par les 1000 élèves à la cantine, on peut, par exemple, estimer à 100 000 hectares la surface agricole nécessaire pour fournir en légumes bio les trois milliards de repas servis hors domicile chaque année en France. Cela représente seulement… 0,35% des 28 millions d’hectares de surface agricole utile de notre pays ! Objectif certainement pas inatteignable…
Enfin, l’argument du recours au bio via des pays lointains ne tient plus depuis quelques années. L’Agence bio vient de publier ses derniers chiffres. En 2016, 71% des produits bio consommés en général par les Français étaient « made in France ». Ce niveau corrobore directement les chiffres de l’observatoire d’Un Plus Bio qui a mesuré que, en 2017, 58% des produits bio achetés en restauration collective étaient d’origine locale (définition Ecocert, périmètre ancienne région administrative).
Manger bio et local n’est donc pas plus cher ni impossible. Et aux sénateurs qui redoutent que les producteurs locaux soient écartés du marché de la restauration collective en pleine expansion, rappelons que le projet de loi prévoit que les productions en conversion bio pourront être comptabilisés, dès la première année, dans les 20% de bio. C’est un signal fort envoyé à la profession, car il n’est évidemment pas question d’opposer les agriculteurs entre eux ni de laisser sur le bord du chemin les candidats au changement de pratiques.
Alors, sénatrices et sénateurs de tout le pays, unissez-vous le 27 juin prochain, jour de l’examen du texte, pour soutenir enfin la réalité d’une alimentation bio à notre portée et rejoignez les nombreuses collectivités territoriales qui ont un train d’avance !
* Joël Labbé, sénateur écologiste du Morbihan, initiateur de la loi « Zéro-phyto » qui bannit depuis le 1er janvier 2017 l’usage des produits phytosanitaires dans les espaces publics des collectivités locales et, à partir du 1er janvier 2019, dans les jardins de particuliers.
* Gilles Pérole, adjoint au maire en charge de l’éducation à Mouans-Sartoux (Alpes-Maritimes), première commune de plus de 10 000 habitants passée au 100% bio dans ses cantines, sans surcoût pour la collectivité et les familles. Également président de l’association Un Plus Bio, premier réseau national des cantines bio.