Charles Braine, un militant pêcheur

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    En charge du programme pêche durable au WWF pendant 4 ans, Charles Braine a changé de bord, il est devenu marin pêcheur. Rencontre avec un homme en transition.

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    Pascal Greboval : Comment êtes-vous venu à troquer le costume de militant au WWF ayant travaillé sur le dossier pêche pendant le Grenelle de l’environnent contre le ciré de marin ?

    Charles Braine : Le changement n’a pas été si radical, j’ai toujours eu un pied dans le monde de la pêche, bien avant d’entrer dans le milieu associatif. Dès l’enfance, la pêche m’a passionné : je passais une partie de mes vacances chez mes grands-mères – l’une en Normandie, où je taquinais la truite, l’autre en Bretagne où je pêchais le bar.

    Plus tard, j’ai suivi une formation d’ingénieur agronome spécialisé en halieutique ; je fus successivement mareyeur à Rungis, puis en charge de la pêche accidentelle des dauphins dans un bureau d’étude et enfin chargé de programme sur la pêche durable au WWF. J’y ai passé quatre années passionnantes, mais j’y ai laissé beaucoup d’énergie. Pour faire passer trois amendements mineurs dans un texte de loi (un règlement sur le thon rouge), il m’a fallu des mois de travail sans compter mes heures, sans vraiment voir le résultat. J’ai pris conscience que pour faire bouger le monde de la pêche en France il était préférable de privilégier l’exemplarité aux leçons de morale, d’être acteur de bonnes pratiques qui essaiment. J’avais besoin de réel.

    Pascal : Arrivez-vous à suivre les techniques de pêche, les recommandations que vous préconisiez pour une pêche durable ?

    Charles : Les méthodes douces existent depuis longtemps déjà. Aujourd’hui, j’exerce plusieurs techniques dont la ligne, le casier et le filet que je mets à l’eau de nuit pour une durée très limitée. De manière générale, il faut privilégier les « arts dormants » (lignes, casiers, filets ou pièges) par rapport aux « arts traînants » (chaluts, dragues à coquillages). Mais la pêche durable est moins une question de technique qu’une vision globale. Il faut maîtriser l’effet du bateau (consommation, pollution des produits d’entretien), améliorer les modèles économiques avec des circuits courts pour réduire les prises et mettre en place des modèles vertueux. Il faut établir de nouvelles passerelles entre le monde de la pêche et le monde commercial.

    Pascal : Quels sont ces modèles vertueux ? Peut-on appliquer le modèle AMAP au monde de la pêche ?

    Charles : Les AMAP pêche sont très délicates à mettre en place. Il en existe, notamment à Lorient, mais il est très difficile de garantir une régularité. Nous sommes dépendants – plus que les maraîchers – de facteurs que nous ne maîtrisons pas : la météo, la présence ou non de bancs de poissons, etc. Mais avec mon bateau de 5 mètres et mes 20 kg de poisson par sortie, je n’ai aucun intérêt à entrer dans un processus d’expédition traditionnel par camion vers Rungis.

    C’est la raison pour laquelle je favorise le circuit court et/ou direct. Deux fois par semaine, je vends sur le port de pêche de mon village. J’ai aussi trouvé en parallèle une entreprise de type mini-grossiste, qui privilégie  les valeurs humaines et environnementales : Terroir d’avenir fournit en direct une cinquantaine de restaurants à Paris. Les pêcheurs doivent comprendre que s’ils vendent plus cher et dégagent des marges plus importantes, ils auront moins besoin de pêcher.

    Pascal : Vous incitez à la mise en place de circuits courts, mais comment fait-on quand on réside loin de la mer ?

    Charles : C’est un vrai débat qu’il faut considérer dans son ensemble. Dans un premier temps, on doit bousculer l’idée que l’on peut avoir de tout, tout le temps. La production des océans mondiaux est figée à environ 100 millions de tonnes par an, dont 70 millions pour la consommation humaine, soit environ 10 kg de poisson par an et par personne. En France on  consomme 37 kg par an : on devrait donc dans un premier temps manger moins de poisson. D’autant que 75 % du poisson qui arrive à Paris ou Strasbourg ne vient pas de France et est issu d’une pêche industrielle sans avenir, car elle dérègle profondément les ressources halieutiques.

    Il est nécessaire de consommer moins mais mieux. Pour les personnes qui résident loin des océans, il faut trouver des alternatives. Il n’y pas si longtemps en Alsace, Allemagne, République tchèque, la carpe élevée en étangs présentait une alternative intéressante. Elle offre  le double avantage d’apporter des protéines aquacoles locales et de servir de composteur [lire Kaizen 8, dossier permaculture]. En Brenne, cette pêche existe encore, pourquoi ne pas remettre ces modèles au goût du jour ? La carpe, qui a été dévalorisée ces dernières années, est en outre un fabuleux produit !

    Pascal : Vous prônez une pêche artisanale, mais que faire de tous ces gros bateaux qui représentent une part importante de l’économie française, notamment en matière d’emploi ?

    Charles : Il ne faut pas poser la question en ces termes. Nous devons l’aborder sous un angle géographique : avec mon bateau de 5 mètres, je ne peux pas aller très loin. Il faudrait par conséquent que les douze premiers miles marins (environ 15 km) soient réservés aux petites embarcations, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Tous les bateaux même les plus gros peuvent pêcher en bord de côte, où se trouvent les zones de nourriceries. Avec des capacités de pêche démesurées, ils détruisent la biodiversité et empêchent la reproduction des espèces. D’un point de vue économique, ils retirent en une journée l’équivalent de six mois de ressources pour les petites embarcations comme la mienne. Ils doivent être cantonnés au-delà de ces 12 miles marins.

    Cela implique une révolution culturelle pour eux, mais ils peuvent faire évoluer leurs techniques, améliorer la qualité des produits afin d’augmenter leurs prix de vente. J’aime prendre l’exemple du thon blanc, que l’on trouve dans ces zones éloignées : pendant des années, en Bretagne, il était pêché à la ligne sur des thoniers à voile, aujourd’hui remplacés par d’énormes chaluts pélagiques. Comme c’est un poisson très fragile, il se retrouve broyé dans le chalut et il finit en miettes… en conserve.  Un véritable gâchis. Si les gros bateaux le pêchaient de nouveau à la ligne ils pourraient mieux le valoriser, ça n’aurait pas d’impact économique mais ça mettrait un terme à ce non-sens.

    Pascal : Comment, dans ces conditions, le consommateur peut-il s’y retrouver ?

    Charles : Il est vrai que contrairement aux autres produits, il n’y a aucune traçabilité sur la plupart des poissons en vente. Le pin’s sur le bar est une démarche intéressante et à suivre, cela garantit un produit de meilleure qualité : on peut être sûr qu’il est pêché à la ligne (en chalut, sa chair se dégrade rapidement) et qu’il est d’une plus grande fraîcheur puisque le poisson est mis en vente le jour même, contre 10 à 20 jours dans les autres cas. Le choix de ce produit est un acte militant qui soutient une pêche durable. Citons aussi le merlu de ligne dans le Pays basque ou le homard de la baie de Granville, qui peuvent être identifiés tout au long du circuit de commercialisation.
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    Pascal : Outre vos activités de patron pêcheur, avez-vous entrepris des actions pour développer cette pêche durable ?

    Charles : Je suis secrétaire d’une association qui regroupe les propriétaires de petits bateaux (moins de 12 mètres) : la « Plateforme Petite Pêche Artisanale Française ». L’objectif est double : assister les patrons pêcheurs qui manquent de temps et d’énergie pour mener une réflexion plus globale sur la pêche, et devenir plus visibles. Nous représentons la majorité des bateaux et la moitié des emplois en France, mais dans la forme syndicale nous ne sommes pas soutenus, ce sont les patrons des plus des gros bateaux qui représentent la pêche en France. Nous voulons introduire de la diversité dans le débat. L’exemple du thon rouge est révélateur, seuls les gros bateaux ont eu voix au chapitre. Ils se sont goinfrés financièrement, ont détruit les ressources, alors que les petits bateaux qui vivaient bien avec trois thons par jour ont vu leurs quotas  grandement diminués.

    À ce jour nous avons fédéré l’Association des ligneurs de la pointe de Bretagne, le Syndicat Professionnel des Pêcheurs Petits Métiers du Languedoc-Roussillon, et une partie des palangriers basques qui pêchent le merlu. De plus, une centaine de pêcheurs individuels de toute la France ont adhéré à la Plateforme. Nous avons trois coprésidents dont une femme – une vraie révolution dans le monde la pêche. Je travaille aussi en parallèle au bateau du futur. Je réfléchis à un « bateau parfait » qui réduirait les besoins énergétiques, serait éco-conçu pour limiter les rejets des produits nécessaires à l’entretien des coques et faciliterait le partage les données scientifiques. Il serait aussi ergonomique car beaucoup de petits bateaux sont interdits à deux personnes, ce qui limite la transmission des savoirs.

    Pascal : Voilà deux ans que vous êtes patron pêcheur, comment le vivez-vous, notamment financièrement ?

    Charles : Je pensais que ce serait difficile. Je dois être honnête, fréquenter les cabinets ministériels, côtoyer les médias, travailler sans compter ses heures était devenu une drogue, ne plus être « dans les rouages » me faisait peur. Maintenant je vis bien, je souffle. Apprendre les techniques de mon métier me fait beaucoup de bien. Je n’avais jamais eu de motivation entrepreneuriale et in fine être mon patron me nourrit chaque jour même si c’est financièrement difficile : d’une part j’avais surestimé mes pêches quotidiennes et j’ai accumulé les erreurs en changeant deux fois de bateau et de zones de pêche en deux ans – or le secret de la réussite est de bien connaître son territoire.

    Pour être viable, je dois réaliser 3 000 € de chiffre d’affaires par mois, soit par exemple environ 20 kg de bar par sortie… j’en suis loin. Bien sûr, je pourrais mettre plus de filets à l’eau pour en ramener davantage, mais je ne pourrais plus me regarder dans une glace.

    Pascal : Aujourd’hui quel regard portez-vous sur les associations militantes ?

    Charles : Je pense que les militants devraient passer encore plus de temps sur le terrain pour mieux connaître le sujet qu’ils défendent, car la réalité est bien souvent plus complexe que ne le montrent les grands coups d’éclats médiatiques alarmistes, parfois contre-productifs. Mais il est vrai que les ONG doivent disposer d’une bonne visibilité médiatique pour vivre. Quand je faisais une déclaration alarmiste sur la disparition du thon rouge tous les médias me contactaient, alors que si je présentais un projet innovant qui regroupait associations et pêcheurs, aucun ne s’y intéressait. Je crois que les deux mondes ont des choses à apprendre en collaborant, il faut tisser plus de liens entre les professionnels et le monde militant.

    Pascal : Qu’est-ce qui vous rend heureux aujourd’hui ?

    Charles : D’être là où j’ai choisi d’être, c’est le plus grand luxe.

     


    Extrait de la rubrique Changeons l’éco de Kaizen 9.

     


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