Cinéma solaire : une toile sous les étoiles

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    À la nuit tombée, les spectateurs s’installent sur un tapis ou sur des chaises pliantes devant un grand écran alimenté par des panneaux photovoltaïques. Cinéma solaire, ce sont des projections itinérantes et engagées qui ont lieu, non pas dans les salles obscures, mais sur les places publiques, en forêt ou sur la plage.

    Cinéma plein air

    Loin de la simple sortie cinéma, c’est à une expérience originale et multiple que vous invite l’équipe de Cinéma solaire. En ville ou à la campagne, les séances se déroulent toujours en plein air.

    « J’ai envie de sortir des habitudes de la salle de cinéma, confie Thomas Virat, fondateur du projet. Pendant la projection, les gens réagissent, discutent ; les enfants jouent à côté… C’est vivant ! »

    Ce n’est pas que l’offre cinématographique ou que la possibilité d’accéder à des salles obscures soient insuffisantes mais, selon Thomas, « beaucoup de petites salles […] ont fermé leurs portes ces dernières années au profit de complexes industriels » qui privilégient les films à gros budget. Par conséquent, les documentaires et les fictions suscitant la réflexion ont une diffusion restreinte. Cinéma solaire vient donc répondre à une demande alternative en matière de découverte culturelle et de lien social. Les cinémas itinérants sont nombreux en France, mais celui-ci se démarque par sa dimension nationale, son utilisation de l’énergie photovoltaïque, ses prix libres et, surtout, par sa sélection de films non « commerciaux ».

    De Notre-Dame-des-Landes à Nu pour la planète

    Thomas a beaucoup baroudé avant de créer, en 2013, Cinéma solaire. L’association est ancrée dans le Lot et en Dordogne, mais ses membres sont disséminés dans toute la France. Cette équipe de huit personnes âgées de 25 à 65 ans réunit professionnels du cinéma et simples passionnés : Valentin – le frère de Thomas – et Louise animent la crêperie bio qui accompagne les projections, tandis que Lydia, Charlotte, Juliette, Annie et Thomas s’occupent des aspects cinématographiques ; Valentin Walker, photographe, light painter et DJ, enrichit les soirées de projections de photographies et de concerts.

    cinéma solaire en plein air

    La première action de Cinéma solaire a eu lieu en avril 2013 sur la ZAD (Zone À Défendre) de Notre-Dame-des-Landes. Thomas et son ami Arnaud soutiennent alors les opposants au projet d’aéroport. Ils diffusent gratuitement des films, notamment ceux tournés par les militants eux-mêmes. Ils font ensuite halte à Angoulême, où ils partagent leur programmation avec un collectif de cinéastes attachés à la diffusion de films libres de droit. À Concots (Lot), ils sont sollicités par l’association Nu pour la planète, qui souhaite « sensibiliser à l’écologie par le nu, indique Anne B., co-fondatrice. Notre corps est une arme, c’est même tout ce que nous avons face aux puissants. » Photographies, dessins, peintures, sculptures, body-painting, tatouages… sont rassemblés dans une galerie virtuelle payante dont les bénéfices servent à financer des projets écologiques. Cinéma solaire a permis à cette association d’exposer pour la première fois sur écran géant !

    Écouter Monsieur Tout-le-Monde

    Les films sont diffusés en plein air grâce aux panneaux solaires installés sur le toit du camion. Ce souci écologique se reflète dans le choix des thèmes traités à l’écran : protection de l’environnement, exclusion sociale, racisme, économie, consommation, santé…

    « On cherche des films qui analysent une situation et proposent d’autres solutions, en évitant les réponses toutes faites, explique Thomas. Le but, c’est de susciter du débat après la projection… »

    Le militantisme, Thomas l’a pratiqué à travers des projets humanitaires avec la Banque alimentaire mais aussi seul, lorsqu’il fréquentait des milieux d’extrême gauche pendant ses études d’histoire. Aujourd’hui, il a pris ses distances. « Nous, militants, on n’a rien compris au changement. Il ne faut pas se figer sur une réponse qu’on a en tête, mais il faut s’ouvrir, écouter, aller vers Monsieur et Madame Tout-le-Monde. Il y a des films qui montrent cela. » Et il y a aussi des lieux, où Cinéma solaire installe en général son écran : dans une cité de Salon-de-Provence, à Correns, « premier village bio de France », et peut-être bientôt dans un camp de Roms et dans une prison…

    Cette année, Cinéma solaire a sélectionné une fiction : J’demande pas la lune, juste quelques étoiles, de Robert Coudray ; des documentaires engagés : En quête de sens, de Nathanael Coste et Marc de La Ménardière, Sous les pavés, la terre, de Pablo Girault et Thierry Kruger ; Ne vivons plus comme des esclaves, de Yannis Youlountas ; ainsi qu’une vingtaine de courts-métrages. Pour une jeune association pas encore subventionnée, difficile d’acquérir des films ! Mais Thomas et ses compagnons font preuve d’inventivité et d’audace. Ils passent des annonces via leur blog, les réseaux sociaux, les sites de financement participatif ou les plateformes professionnelles telles que cineaste.org. Surtout, ils ont contacté des étudiants en école de cinéma et des réalisateurs qui, emballés par le projet d’éco-cinéma itinérant, ont mis leurs films à disposition. À charge pour Cinéma solaire de leur reverser un pourcentage du chapeau (environ un quart de la recette). Yannis Youlountas a même offert son film à Cinéma solaire sans contrepartie. Selon Thomas, supprimer les intermédiaires – les producteurs, qui prennent un gros pourcentage des recettes – en se mettant directement en contact avec les réalisateurs permet de vivre dans un système équilibré.

    Prix libre

    La fiction J’demande pas la lune, juste quelques étoiles est elle aussi le fruit d’une belle aventure humaine. Cinq cents personnes, amis et voisins, ont participé (figuration, décors, cuisine…) au tournage de ce film au budget modeste (50 000 euros) et largement autoproduit (20 000 euros provenaient des fonds personnels du réalisateur). Sarah Coudray, assistante de réalisation, témoigne : « Ne pas avoir de producteur nous a libérés des pressions commerciales ! » Même si le film est bien diffusé en salles, des structures comme Cinéma solaire permettent de toucher un autre public :

    « Un public militant ou au contraire très populaire car les personnes âgées ou les familles se déplacent plus facilement quand la projection a lieu dans leur village. »

    Financièrement, les spectateurs s’y retrouvent aussi, puisque Cinéma solaire pratique le prix libre. « Ce n’est pas gratuit, précise Thomas. On explique aux spectateurs qu’on a besoin de leur soutien pour vivre », sachant que les membres de l’association sont tous bénévoles. La première année, même les crêpes étaient en prix libre, mais selon Valentin « ce que donnent les gens ne couvre pas l’achat des produits » qui sont tous d’origine biologique. Thomas a personnellement investi 25 000 euros pour lancer son projet, très coûteux en matériel et en transport. Le reste de l’année, notre cinéphile travaille comme transporteur dans l’événementiel ; il a par exemple suivi la tournée de la chanteuse Zaz. Une vie à toute allure pour avoir la joie de diffuser des films engagés et de rencontrer d’autres passionnés. Mais il souhaite maintenant que la diffusion soit autofinancée. Pour 2014, il compte sur la présence de 3 000 à 4 000 spectateurs sur l’ensemble des projections (une trentaine environ). Pour couvrir les frais de fonctionnement –  7 000 euros en tout – et pérenniser le projet, il faut environ 120 spectateurs par soirée. Lors d’une prochaine étape, le financement passera peut-être par la demande de subventions. En attendant, de juin à septembre, on pourra manger une crêpe en refaisant le monde et se faire une toile… à la belle étoile.

     

    Par Carole Testa

     

    Extrait de la rubrique Créateurs de culture de Kaizen 15.

     


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