Les Civic Tech au service de la démocratie participative

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    Réunis au festival OuiShare à Paris, du 5 au 7 juillet, visionnaires, militants et entrepreneurs sociaux ont échangé sur les nouvelles technologies numériques et collaboratives. Parmi eux, Pia Mancini, militante politique argentine, a présenté les Civic Tech : des plateformes innovantes et internationales mises à disposition des citoyens pour favoriser l’expression politique et associative. Rencontre.

    Quel rôle jouent les Civic Tech dans l’amélioration d’un système politique ?

    Ce sont des outils qui ont pour but de rapprocher les citoyens du processus politique. Ils sont utiles grâce à la mise à disposition des données numériques pour les gouvernements. Ainsi ces derniers peuvent prendre en compte les revendications des individus pour améliorer leur fonctionnement. À l’échelle locale, les Civic Tech permettent aux citoyens de donner leur avis sur les changements dans leur municipalité.

    Aujourd’hui, pour pouvoir s’exprimer, il faut se confronter aux institutions : respecter le jour, l’heure, se déplacer parfois sur une longue distance… pour au final n’avoir que cinq minutes pour s’exprimer. Ces mécanismes institutionnels sont défavorables à l’implication des habitants dans les choix gouvernementaux. Beaucoup de personnes réfléchissent aux moyens d’améliorer ce système grâce au numérique, afin que le plus grand nombre de personnes puissent s’exprimer et participer aux décisions politiques. Pour la majorité des citoyens, la participation a la vie politique passe par le vote lors des élections. Le rôle des Civic Tech est finalement d’accroître cette participation en facilitant les échanges avec le gouvernement.

    En 2015, à Palo Alto en Californie, vous avez créé DemocracyEarth, pouvez-vous nous en dire plus ?

    En 2012, nous avons d’abord élaboré DemocracyOS, une plateforme numérique qui permet d’organiser un débat sur des projets de loi dans un pays, avant de créer Democracy Earth, une version transnationale. Au départ nous encouragions les citoyens à débattre et à délibérer sur la plateforme. Cet outil a été ensuite adopté par plusieurs Congrès dans le monde (au Mexique, en Espagne, en France) comme outil de consultation citoyen. C’est à ce moment là que nous avons créé DemocracyEarth en 2015. Elle permet à un citoyen de voter directement ou de déléguer ses votes à un tiers.

    DemocracyEarth repose en effet sur la démocratie liquide* : une personne peut charger quelqu’un -qu’il considère digne de confiance et plus averti sur le sujet- de voter à sa place. Cela peut être sur le changement climatique, ou sur la régulation de Facebook par exemple.

    Et, plus les sujets sont récurrents sur une cause, plus il est nécessaire d’être attentif aux réseaux qui les constituent pour les aider à agir ensemble.

    Combien de pays utilisent-ils Democracy Os ?

    Je n’en ai aucune idée. Democracy Os est une plateforme open source traduite dans plus de trente langues différentes. Elle est ouverte au grand public, et nous ne surveillons pas ce qui s’y passe.

    C’est un outil pour et en faveur des démocraties, mais qu’en est-il des citoyens qui vivent sous des régimes autoritaires ? Peuvent-ils y accéder ?

    Ce qui est intéressant avec DemocracyEarth, c’est qu’il fonctionne avec une blockchain :  une technologie qui permet de stocker et de transmettre des données, sans passer par un organe central de contrôle. Les citoyens passent par d’autres réseaux que les réseaux institutionnels.

    Il y a une multiplicité de plateformes, les citoyens ne risquent-ils pas de s’y perdre?

    Je ne pense pas que les citoyens soient noyés dans la multiplicité des outils. Je me suis longtemps questionnée sur la capacité des individus à comprendre et à utiliser ces dispositifs. Notre lecture de la situation est très paternaliste : nous pensons que les citoyens ne peuvent pas utiliser les Civic Tech car ils ne seraient pas capables d’apprendre. Je m’efforce de combattre cette interprétation car plus il y aura d’outils à disposition, plus nous pourrons comprendre, essayer, expérimenter et progresser.

    Les utilisateurs des Civic Tech sont à l’image de leurs créateurs : jeunes, blancs et urbains. De plus, beaucoup de personnes ne sont pas à l’aise avec les outils numériques ou n’y ont pas accès. Cela ne génère-t-il pas des inégalités de représentation ?

    C’est un enjeu fondamental. Pour moi il s’agit de la même difficulté d’accès aux institutions, comme par exemple les heures passées à attendre à l’Assemblée nationale avant de pouvoir s’exprimer. Il faudrait donc permettre à ces citoyens d’avoir les moyens d’utiliser les outils numériques. Cela peut se résoudre par la mise en place d’un programme d’éducation sur l’apprentissage du codage par exemple. La solution, c’est l’éducation, et non l’abandon des Civic Tech. Certes nous ne pouvons pas ignorer les personnes qui sont dépassées par ces outils numériques mais nous devons justement oeuvrer à les rendre plus accessibles.

    Un militant #MaVoix prend la parole lors du débat sur le rôle Civic Tech dans la démocratie – 5 juillet 2017 © Léa Dang

    Vous avez aussi récemment créé, avec le co-fondateur belge de StorifyXavier Damman, une nouvelle plateforme nommée OpenCollective qui ambitionne de renouveler le fonctionnement du système associatif…

    Oui, OpenCollective est une plateforme open source qui permet à une personne de créer en quelques minutes une association en utilisant un système de gestion basé sur la transparence. Elle permet de mutualiser et partager les ressources afin de transformer les infrastructures classiques. Par exemple, une ville peut faire partie de plusieurs réseaux d’initiatives pour partager ses ressources et ses savoirs, où chacun peut apprendre de l’autre au delà des frontières.

    Toutes les formes d’initiatives (associations, projets, collectifs, partis politiques) ont d’ailleurs la possibilité d’organiser des levées de fonds et de gérer leur trésorerie en totale transparence, sans avoir besoin d’un compte bancaire !

    À qui cela s’adresse-t-il ?

    Si tu appartiens à une communauté qui a des valeurs et des projets en commun dans ta ville ; ou si tu fais partie d’un parti politique qui ne bénéficie pas d’infrastructures, utiliser OpenCollective peut s’avérer vraiment utile pour fédérer et faciliter la gestion de la trésorerie.

    Les mouvements sociaux sont transnationaux. Maintenant nous pouvons aider à mettre en place une levée de fonds, sans avoir besoin d’une quarantaine d’entités légales. Nous créons, finalement, un réseau d’organisations capable d’agir en commun. Tout est virtualisé pour permettre à ces organismes de se concentrer sur ce qu’ils savent le mieux faire : leurs missions.

    Comment pouvons-nous faire confiance à cette plateforme ?

    Tout est transparent. C’est une plateforme open source, donc tout ce qui s’y passe est visible, il n’y aucun moyen de détourner de l’argent du système – en tout cas sans que tout le monde le voit.

    En virtualisant les échanges, ne risquons-nous pas de déshumaniser les luttes ?

    Je ne pense pas que les Civic Tech empêcheraient les personnes de manifester physiquement car les mouvements sociaux existeront toujours. C’est une part importante de notre démocratie.

    Civic Tech
    Pia Mancini lors de la plénière d’ouverture du festival OuiShare le 5 juillet 2017 à Pantin (93) © Léa Dang

     

    Democracy Earth donne une voix aux expatriés Colombiens

    En octobre 2016, le gouvernement colombien organise un référendum sur l’accord de paix avec les FARC. Seulement, les autorités n’enregistrent dans les listes électorales que 10% des expatriés et empêchent potentiellement 6 millions de Colombiens résidant à l’étranger  – qui ont fui la violence des conflits – de s’exprimer.

    Democracy Earth a alors organisé un référendum alternatif en ligne. À l’inverse d’un référendum qui oppose le oui et le non, plusieurs questions sont posées. Par exemple : êtes-vous pour ou contre l’ouverture d’un débat démocratique avec les forces opposées ? Êtes-vous d’accord avec la mise en place de mesures de prévention du trafic de drogue ? etc. 

    Les résultats de la consultation en ligne a montré que les Colombiens à l’étranger sont majoritairement pour le rétablissement de la paix, alors que les opposants à celle-ci l’ont emporté le 2 octobre 2011

    *Démocratie liquide : Dispositif technique et discursif recueillant les propositions citoyennes et permettant de délibérer, consulter, amender ainsi que de voter afin de favoriser un accès durable et une participation effective à la prise de décision publique et/ou politique.

    Propos recueillis par Léa Dang 

    © Kaizen, construire un autre monde… pas à pas

    Pour en savoir plus :DemocracyOs France


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