Colocation intergénérationnelle, un art de vivre

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    Conviviale et solidaire, la cohabitation entre jeunes et seniors séduit de plus en plus. Cette démarche peu coûteuse et fiable permet de lutter contre la solitude et offre un nouveau visage à la sagesse de nos anciens. Une expérience à essaimer sans modération !

     Photos : Éléonore Henry de Frahan

    Depuis qu’elle a ouvert sa porte, Élisabeth a retrouvé le sourire. Dans son appartement lumineux du quatrième étage à Versailles (78), la septuagénaire s’affaire avec enthousiasme aux côtés de la jeune Giovanna qui prépare un tiramisu.  Le dessert italien titille les papilles et la curiosité de son hôte : « On voyage, c’est très agréable ! » Depuis quelques mois, Élisabeth héberge l’étudiante italienne via l’association Ensemble2générations. Fondé sur des valeurs de solidarité, ce dispositif national a pour objectif de « rompre la solitude des seniors et aussi celles des jeunes en créant un pont, tant au niveau culturel que social. C’est également une manière d’aider les jeunes à régler leur problématique de logement », explique Isabelle Étienne, chargée de mission pour l’association créée en 2006. En effet, l’Insee révélait déjà en 2005 que les cinq millions de jeunes âgés de 18 à 29 ans qui ne vivent plus chez leurs parents sont davantage exposés aux difficultés de logement en raison de leurs bas revenus et de l’absence de garanties suffisantes. Ancienne enseignante, Élisabeth confie qu’elle a « toujours aimé être avec les jeunes, les aider et discuter  avec eux ». Même si sa décision d’accueillir un ou une étudiant-e a été prise à un moment douloureux de sa vie : « Au décès de mon mari, cela a été épouvantable, je ne supportais plus la solitude, surtout en fin de journée quand la lumière du jour tombe. J’avais beau mettre la radio ou la télé, il n’y avait pas d’échanges. Alors, quand j’ai entendu parler de la colocation intergénérationnelle, je me suis dit que c’était tout à fait ce qu’il me fallait ! »

    Marie Elisabeth Vergeron et Giovanna. versailles, mars 2017

    Restée seule après le décès de son conjoint et le départ de ses trois filles qui vivent désormais en famille dans la région, Élisabeth loue depuis 2012 l’une de ses quatre chambres pour la durée d’un an à dix-huit mois à des étudiants.  De son côté, Giovanna a opté cette année pour cette formule d’hébergement bon marché en vue de préparer son agrégation d’italien loin des tentations festives d’une colocation entre jeunes… En cohabitant avec une senior, la jeune femme de 28 ans savait qu’elle se sentirait à l’aise : « Ce choix est venu spontanément, car, en Italie, j’avais l’habitude de rendre visite à mes oncles plutôt âgés. J’aime vivre avec des gens d’une autre génération. C’est une belle expérience ! » Avec un loyer mensuel de 330 euros pour une chambre privée, Giovanna reste totalement indépendante : « Je n’ai pas d’obligations, mais, évidemment, si Élisabeth a besoin de moi, je suis là. Car le principe de base est d’avoir une entraide du point de vue moral et matériel et d’assurer un peu de convivialité et une atmosphère chaleureuse dans la maison. »

     

    Créer des liens durables

    Au fil des mois, les deux femmes ont tissé des liens  qui dépassent la simple relation locataire-propriétaire. « On discute de tout, on regarde la télé, et, parfois, Giovanna m’aide à régler mes problèmes avec Internet, car les personnes âgées, avec Internet, c’est pas simple ! », note avec humour Élisabeth. L’étudiante souligne qu’elle aussi bénéficie de l’expertise de son hôte : « Un jour, j’avais un texte ancien de Michel-Ange à traduire en français, alors j’ai demandé à Élisabeth de relire mon travail. » Si les  échanges quotidiens sont en effet animés par des conversations, des repas et des petits services échangés, les partages se sont prolongés spontanément et librement avec des activités de loisir, comme le lèche-vitrine et la visite de musées et de  monuments : « On a déjà fait quelques sorties et ona programmé aussi un week-end à Amboise [37] au château du Clos Lucé, la maison de Léonard de Vinci, qui est au programme de l’agrégation. Et, si elle est disponible cet été, je l’inviterai dans ma maison dans les Charentes », raconte Élisabeth qui n’oublie pas de faire remarquer en riant qu’elles ont aussi « fait la foire aux vins en bas de la maison » !

    Nicole Varda et Zhengdong. L’Etang la Ville, mars 2017.

    Dans ce système de solidarité intergénérationnelle, la plupart des binômes restent en lien plusieurs années après leur cohabitation. « C’est un concept qui donne de la vie à la vieillesse et du sens à la jeunesse, soutient Isabelle Étienne. Quand ces jeunes arrivent chez une personne âgée, l’association fait tout pour que l’alchimie du binôme fonctionne. » Lorsqu’un senior propose une chambre et que les jeunes postulent, l’association rencontre en effet chaque partie pour mettre en lien les profils les plus compatibles en fonction des personnalités et des affinités, quelle que soit la nationalité des étudiants,  français ou étrangers. « Au fur à mesure des entretiens avec les jeunes, on se rend compte que certains qui arrivent de province ou de l’étranger sont ravis d’avoir une grand-mère qui les accueille. Même s’il n’y a pas de lien familial, ils s’insèrent dans une famille et créent beaucoup de connivences », ajoute la chargée de mission.

     

    Rester autonome

    En France depuis quelques mois, loin de sa famille, Chi Phuong porte un regard lumineux sur Annette qui l’accueille dans son grand appartement de la capitale via l’association francilienne Le Pari solidaire. Du haut de ses 21 ans, l’étudiante vietnamienne rougit lorsque la septuagénaire parle de leur complicité : « Je ne suis pas sa grand-mère, mais parfois on parle de choses de la vie, comme hier soir lorsqu’elle m’a posé des questions sur mes relations avec mon ex‑mari. Nous avons eu une conversation de femmes, presque intime ! » Dans cette relation, les tabous volent en éclats de rire, car l’expérience des aînés, la juste distance et la transmission intergénérationnelle offrent toutes les conditions favorables à la rencontre bienveillante.

    Même scénario du côté de L’Étang-la-Ville (78) avec Ensemble2générations où, à 93 ans, Nicole héberge gratuitement depuis deux ans Zendhong, un étudiant chinois de 28 ans en master d’édition. Dans la grande salle à manger de cette maison d’architecte, le jeune homme sert délicatement le thé à son hôte malvoyante.Les deux complices passionnés de culture sont aux petits soins l’un pour l’autre. « Je découvre la musique classique grâce à Nicole qui en écoute beaucoup. Mozart, Beethoven, Bach… C’est magnifique. Elle me parle aussi de son histoire, et cela me permet de mieux comprendre l’histoire de la France, c’est différent des livres », confie Zendhong. De son côté, Nicole se passionne pour la culture chinoise et s’intéresse à l’agriculture : « J’aime les gens et, pour comprendre comment ils vivent, je suis toujours curieuse de savoir ce qui pousse dans la campagne chez leurs parents. Savoir ce qu’ils cultivent, dans quelle nature ils évoluent et ce qu’ils mangent, ça me fait voyager. » La silhouette frêle et le sourire fixé aux lèvres, Nicole est aussi à l’affût de toute occasion pour plaisanter. « L’humour est une arme agréable », lance-t-elle entre deux rires.

    Nicole Varda et Zhengdong. L’Etang la Ville, mars 2017.

    Dans cette ambiance chaleureuse, Zendhong évolue avec aisance. S’il n’a pas de loyer à payer, il rend quelques petits services : il assure une présence (souple) le soir, sort les déchets végétaux du jardin, aide Nicole à mettre ses livres audio ou de la musique…Des tâches simples qu’il ne vit pas comme des contraintes et qui permettent à la nonagénaire de « ne pas aller en maison de retraite pour l’instant », avoue-t-elle.  La cohabitation intergénérationnelle se révèle donc une prévention efficace contre la perte d’autonomie. Pour autant, Isabelle Étienne prévient qu’il ne s’agit  pas de remplacer les aides à domicile professionnels, puisque la condition pour que « les personnes âgées hébergent les jeunes est qu’elles n’aient pas de problèmes cognitifs. Et si elles ont des soucis de santé, elles bénéficient déjà de l’aide régulière d’un auxiliaire de vie ou d’un infirmier. » Mais comment expliquer que la plupart des hôtes  soient des femmes ? « Il y a plus de femmes seniors qui proposent une chambre en raison de la démographie, mais peut-être est-ce lié aussi à leur relation aux enfants, car elles sont souvent plus ouvertes pour accueillir un jeune chez elles », constate Marco Piovesan, chargé de mission à l’association Le Pari solidaire. Côté étudiants, la parité est plutôt au rendez-vous. Mais les demandes sont si nombreuses que les chambres disponibles manquent chez les seniors. En réalité, certains d’entre eux n’arrivent pas à franchir le pas : « Au début, j’étais réticente, car ce n’est pas facile d’accueillir une personne qu’on ne connaît pas, avoue Nicole. Mais, finalement, grâce à  l’insistance de ma fille, j’ai accepté. Et tout s’est toujours très bien passé depuis des années ! »


    POUR ALLER PLUS LOIN

    http://ensemble2generations.fr

    www.leparisolidaire.fr

    https://reseau-cosi.org

    www.colocation-adulte.fr


    La cohabitation intergénérationnelle : comment ça marche ?

    Initiées par l’association Le Pari solidaire en 2004,  la plupart des initiatives de colocation intergénérationnelle sont aujourd’hui référencées autour du réseau Cosi. Lauréat du label présidentiel La France s’engage, ce dernier fédère plus de vingt-huit structures en France. Au lendemain de la canicule de 2003 qui a fait quinze mille victimes entre le 1er et le 20 août, dont 82 % chez les plus de 75 ans 1, le réseau est apparu comme une solution de prévention efficace. Plus de neuf mille personnes ont déjà pu bénéficier de ces dispositifs. Les conditions d’éligibilité de cohabitation varient selon les organismes : si certains ne proposent les logements qu’aux étudiants âgés de 18 à 30 ans, d’autres s’ouvrent à tous les jeunes du même âge, quel que soit leur statut. Pour les seniors, la plupart des associations s’adressent aux plus de 60 ans, mais quelques-unes ouvrent aussi le concept dès 50 ans.

    Côté logement, les associations proposent souvent deux ou trois formules sur une période variant de quelques mois à deux ans maximum : une  chambre gratuite pour le jeune en échange de petits services (présence le soir, courses…) ; parfois une chambre à loyer modéré (autour de 150 euros) contre quelques tâches précises ; ou une chambre à loyer « classique » (environ 330 euros) dans laquelle le jeune est totalement indépendant. Il existe également des annonces privées sur des sites de colocations entre adultes avec option intergénérationnelle, mais celles-ci offrent moins de garanties que les associations qui proposent notamment une sélection et une mise
    en relation des seniors et des jeunes par affinités, un contrat de location et une médiation en cas de mésentente.


    1 Source : Institut national d’études démographiques (Ined)

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