Créé en juillet 2020 suite à la mobilisation des soignants en pleine pandémie du Covid-19, le Collectif Santé en Danger s’intéresse désormais à la question environnementale et souhaite alerter sur l’empreinte carbone des établissements médicaux. Audrey Baskovec, infirmière à l’hôpital public près de Metz, référente dans le Grand Est de l’association, a recensé des solutions éco-responsables duplicables dans ces structures.
Comment votre collectif en est-il venu à se préoccuper de l’empreinte carbone du secteur de la santé et à s’intéresser aux problématiques de la santé environnementale ?
Dès le départ, Arnaud Chiche, fondateur et président de l’association, a alerté sur le lien entre les zoonoses – suite à la pandémie du Covid-19 – et la santé du vivant. Pour ce médecin anesthésiste réanimateur, la santé humaine ne devait pas être notre seule préoccupation. Il répétait souvent cette phrase : « Santé sans environnement n’est que ruine humaine. » C’est-à-dire que prétendre guérir un patient sans considérer son environnement est illusoire. Or il est aujourd’hui avéré que la dégradation constante des écosystèmes, avec la pollution des sols par exemple, n’est pas sans danger pour notre santé. On s’est alors rapproché de Philippe Perrin, éco-infirmier, qui a fondé l’Institut de formation en santé environnementale, l’IFSEN, pour se documenter à ce sujet.
Nous avons ensuite découvert les travaux d’Olivier Thomas, connu pour promouvoir une démarche éco-responsabable dans les établissements de santé, aujourd’hui responsables de 8% des émissions de gaz à effet de serre nationaux (source : rapport du Shift Project de novembre 2021). Quand vous savez que pour un lit d’hôpital, une tonne de déchets est produite par an, alors que pour un habitant c’est en moyenne 360 kilos par an, on se dit qu’il y a quelque chose à faire à ce niveau-là.
Quels sont les postes les plus polluants dans un établissement de santé ?
Ce qui n’est pas normal, c’est que l’on incite tous les Français à recycler, mais l’hôpital reste le mauvais élève dans ce domaine.
Ce sont clairement les déchets. On sait par exemple qu’une opération dans un bloc pour une intervention orthopédique produit déjà presque 100 kilos de déchets avant même d’avoir commencé. Car avec la prévention des risques et des infection nosocomiales, on est passés de plus en plus au plastique à usage unique ; cela coûte moins cher que d’engager des personnes pour stériliser tous les instruments réutilisables, comme ce qui se faisait avant.
Ce qui n’est pas normal, c’est que l’on incite tous les Français à recycler, mais l’hôpital reste le mauvais élève dans ce domaine. Comme par exemple les poches de perfusion en plastique qui ne sont pas recyclées. De même que le vert médical dans certains établissements qui est directement jeté dans les déchets à incinérer. C’est hallucinant ! Or en tant que soignants, c’est aussi à nous de montrer l’exemple.
Quelles seraient les solutions pour décarboner le secteur de santé ? Avez-vous des exemples concrets ?
Cela passe par des choses toutes bêtes : installer des ampoules basse consommation, des doubles chasses d’eau pour économiser l’eau, éteindre les lumières… Tout simplement, ce que l’on fait chez nous, à titre individuel, mais qui ne s’impose pas dans tous les établissements. Si l’on prend le domaine des transports par exemple, des hôpitaux pourraient être équipés de bornes électriques – même si ce n’est pas la panacée –, ou encore mettre à disposition des vélos au personnel soignant, ou instaurer simplement le forfait mobilités durables[1]. Il s’agirait aussi de mettre en place avec les collectivités locales (mairies, métropoles, etc.) des horaires adaptés, car beaucoup de soignants doivent commencer leur journée à 6 heures du matin, mais beaucoup de bus ne circulent qu’à partir de 7 heures.
Globalement, on s’inspire de ce qui se fait déjà en France pour montrer aux autres établissements que cela existe et que c’est possible ! Comme pour cet exemple parlant : le CHU de Carcassonne réutilise l’eau du service de dialyse pour arroser les jardins, et évite ainsi un énième traitement de cette eau propre.
On parle beaucoup de la crise des hôpitaux, avec le manque de personnel criant, la dégradation des conditions de travail et de prise en charge des patients… Comment souhaitez- vous faire émerger la question de l’écologie dans un contexte qui est déjà tendu ? Cette problématique ne pourrait-elle pas paraître secondaire pour les soignants et les politiques ?
C’est une vraie question… J’ai une collègue assez sensibilisée qui tente de changer les pratiques au sein de son établissement, mais certains cadres de santé ne partagent pas son avis : « De toute façon ce n’est pas l’urgence », on lui réplique. Il y a beaucoup de personnes qui ne se sentent pas concernées, mais lorsqu’on leur met les chiffres sous le nez, et qu’on leur prouve les économies qui pourraient être réalisées, cela change tout.
C’est un peu notre stratégie : si on arrive à montrer que ces solutions sont efficaces d’un point de vue économique et leur permettent de réduire leurs coûts de fonctionnement, ils y adhèrent. C’est le seul petit levier que l’on a à notre niveau. L’association Les Petits Doudous qui revend le cuivre des bistouris électriques pour acheter des jouets aux enfants opérés a par exemple révélé la valeur potentielle de ce recyclage, le cuivre pouvant se revendre à un certain prix.
Les récents événements climatiques, notamment les canicules, nous ont aussi donné raison. On a une collègue qui a mesuré la semaine dernière les températures dans les chambres des malades à 32° C. C’est à la fois très éprouvant pour les patients, et plus compliqué pour le personnel soignant qui doit être davantage présent et vigilant. On s’offusque car il y a des mesures très simples qui pourraient être mises en place, comme l’installation de filtres occultants sur les fenêtres. Et à long terme, il serait judicieux de penser à l’éco-rénovation et l’éco-construction pour les bâtiments de santé.
Beaucoup de ces actions en matière d’environnement relèvent d’initiatives individuelles voire locales. Mais c’est comme pour les éco-gestes prônés actuellement par le gouvernement en matière d’énergie. On sait que ces efforts individuels sont nécessaires mais ils ne suffisent pas ; l’implication des politiques, des industries reste indispensable. Et c’est pareil au niveau de l’hôpital !
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[1] La prise en charge facultative par l’employeur de tout ou partie des frais de transports pour les modes doux, comme les transports en commun ou le vélo entre le domicile et le lieu de travail.