Pour financer un projet de permaculture, la commune bretonne de Langouët vient de recourir à l’emprunt citoyen. Ce type de financement est fort utile pour des communes au budget serré. Mais il pose aussi la question du désengagement de l’État.
Article initialement publié sur Reporterre
En Bretagne, Langouët, 600 habitants, n’en finit plus de faire parler d’elle tant elle est en pointe dans l’innovation environnementale et la démocratie participative. Depuis son élection en 1999, le maire, Daniel Cueff, a fait de sa ville un véritable laboratoire. L’an dernier, Reporterre avait raconté son programme d’autonomie énergétique. Un projet qui succédait à celui de la cantine scolaire 100 % bio en service dès 2004. Commune rurale, Langouët s’est engagée dans la transition écologique avec pour ambition de devenir autonome. « L’autonomie se distingue de l’autarcie car elle intègre une dimension de solidarité. Cela consiste simplement, de façon responsable, à produire ce que l’on peut sur place », nous explique le maire.
Cette pratique s’applique même en ce qui concerne les finances. En début d’année, la commune a récolté 25 000 euros par le biais d’un financement participatif pour un projet de permaculture. Le tout en une vitesse record. En novembre 2016, elle avait déjà levé 40 000 euros de la même manière pour cofinancer le réaménagement du centre-bourg (sur un budget total d’environ 150 000 euros). Il s’agissait alors de financer une étude conduite par une équipe d’architectes et d’ingénieurs permettant de réaliser des « habitats à impacts positifs ». Un financement citoyen original dans un contexte de centralisation fiscale et de frilosité bancaire.
Pour réussir ce pari, Daniel Cueff a exploité un nouvel outil à disposition des collectivités : la start-up Collecticity. « Il s’agit d’une plateforme de financement participatif dédiée aux collectivités territoriales qui a été agréée par Bercy », explique le maire. Et d’ajouter : « Depuis décembre 2015, la loi autorise les communes à emprunter auprès de leurs habitants. Pour nous, la démarche participative vaut de l’or ! Outre l’apport d’argent, cela rend les citoyens acteurs des projets communaux. Et nous voulions que chaque euro investi par les citoyens le soit dans le tissu local. »
La double peine pour les contribuables ruraux ?
Pour le premier emprunt (rénovation du centre-bourg), deux tiers des contributeurs habitaient la commune ou alentour, le tiers restant a été séduit par le projet ou peut-être l’attrait financier. Les participants pouvaient prêter entre 200 et 2 000 € avec un taux d’intérêt de 2 % brut par an sur 6 ans. Trente-sept investisseurs ont participé. Parmi eux, Sylvain Martin, qui a investi 200 €. Pour lui, c’est la dimension citoyenne qui a été le moteur de sa décision : « J’habite à Langouët depuis 2006 et je suis engagé dans le secteur associatif. Quand ce projet d’économie circulaire a vu le jour, j’ai voulu y participer. » Même son de cloche chez Nicole Duperron, qui a elle aussi contribué : « Pouvoir participer à la rénovation du bourg m’intéressait en tant que citoyenne de la commune. L’image écologique me convient. C’est l’avenir. Et je pense que si les individus peuvent aider, alors il faut le faire. »
La démarche participative ne s’arrête pas au financement puisque la mise en place pratique du projet de permaculture est réalisée sous forme d’« ateliers citoyens » et accompagnée par plusieurs « experts ». « Les gens qui ont participé se sont retrouvés dans des réunions pour discuter du projet », complète Sylvain Martin.
De ce premier financement est né un second projet, celui de la permaculture. La somme minimum à investir avait été abaissée à 50 euros et le taux d’intérêt réduit à 1,8 % brut par an sur 6 ans. Soit toujours bien plus que la rémunération d’un livret A pour un bénéfice quotidien ! Pour le deuxième projet, quarante-deux investisseurs ont participé. « Nous étions plusieurs à avoir prévu de réinvestir si le projet peinait à atteindre la somme nécessaire, mais finalement, il a été bouclé plus vite qu’espéré », explique Nicole Duperron. « Ce type de financement est sécurisant, rassurant. Qui plus est, il est à échelle humaine. Cela change des placements financiers dont on ne sait pas où vont les fonds. Ici, l’argent est directement investi dans un projet d’intérêt général », ajoute-t-elle.
Face à une recentralisation des ressources publiques, à une dépendance accrue des communes aux dotations de l’État [1], les élus locaux doivent faire preuve d’imagination. En autorisant l’emprunt citoyen pour les collectivités, l’État se retire une belle épine du pied et réduit les contestations, mais l’énergie déployée à innover pour faire face à la pénurie ne doit pas laisser croire que la commune accepte la tutelle de l’État et le centralisme fiscal. Ces pratiques « citoyennes » se multiplient certes, mais est-il normal qu’à Lannion, par exemple, les habitants aient dû financer leur IRM faute de moyens publics ? N’est-ce pas la double peine pour les contribuables ruraux ? Sylvain Martin reconnaît que « le risque est en effet que l’État continue de se désengager ».
Faire reposer les investissements sur le bon-vouloir de la population est finalement bien pratique pour le pouvoir car cela lui évite de répondre aux véritables questions : verra-t-on, un jour en France, une réforme de la fiscalité locale qui donne enfin plus de liberté aux collectivités ? Face au jacobinisme, l’autonomie fiscale ?
Par Gaël Briand