Et si les maires gouvernaient le monde ? C’est la « solution » que propose l’Américain Benjamin Barber. Rencontre avec cet écrivain et professeur de sciences politiques, qui nous présente aussi son projet de parlement mondial des maires.
Kaizen : Pour quelles raisons les maires doivent-ils gouverner le monde ?
Benjamin Barber : Les villes ou réseaux de villes – de plus 50 000 habitants – se définissent par la communication, la créativité, la connectivité et la collaboration. Elles sont le moteur et la richesse collective des pays.
Par ailleurs, ces collectivités sont les lieux naturels de la participation citoyenne. C’est dans les villes que les personnes travaillent, s’engagent dans des associations, participent à la vie de quartier, deviennent volontaires pour une cause, etc. C’est dans les villes que s’expérimentent le civisme et le dynamisme démocratique. En cela, elles constituent une arène où tout est possible, où l’avenir sera plus juste et plus durable.
Les maires sont quant à eux souvent extraordinaires, même lorsque la période ne l’est pas. Ils sont peut-être le meilleur espoir pour garantir la survie de la démocratie planétaire.
Existe-t-il une recette pour être un bon maire ?
Un maire ne vient pas avec des ingrédients tout prêts. Il apprend en permanence. Il doit être pragmatique, avoir la capacité de résoudre des problèmes. Quand vous êtes maire, les idéologies disparaissent. Vous devez composer avec la réalité, apporter des solutions concrètes sur le terrain. Vous devez gérer la police, les hôpitaux, les écoles, les pompiers, faire ramasser les ordures, etc.
Un maire doit trouver des solutions qui accommodent tout le monde. Quand Bill de Blasio, maire de New York, a été élu en novembre 2013, il a dû faire face à des problématiques immobilières : augmentation du prix des loyers, diminution du nombre de logements disponibles à la location, accroissement de la population des sans-abris. À ses débuts, il est parti en guerre contre les promoteurs immobiliers, qu’il accusait d’avoir construit des logements uniquement pour les riches. Cela a créé des tensions. Mais, il ne pouvait pas faire sans eux : il a dû composer. Ce maire et les promoteurs ont trouvé un accord pour les dix années à venir : 240 000 logements seront bâtis, dont 80 000 sociaux.
Cet exemple illustre que les maires doivent composer avec tous les types d’interlocuteurs. Qu’ils pensent que les banques, les promoteurs immobiliers sont des capitalistes ou le diable incarné, soit, mais ils devront travailler avec eux.
Par ailleurs, quand on est maire, on ne peut pas se contenter d’être un bureaucrate, d’être un simple administrateur. Bien au contraire ! Un maire, c’est une personne du quartier, un citoyen lambda, un voisin connu des tous les habitants. Il appartient à une communauté, il fait partie d’un « nous ».
Pouvez-vous citer des exemples d’initiatives impulsées par une ville et ensuite reprises au niveau national ?
Le budget participatif, initié par la ville de Porto Alegre en 1989, est une façon formidable pour les maires d’impliquer les citoyens, de leur donner le pouvoir d’agir. L’idée consiste à confier aux habitants d’une ville la gestion d’un pourcentage du budget municipal. Avec ce système, les citoyens ne font pas que voter pour un maire : ils orientent les dépenses de la municipalité ! C’est peut-être le pouvoir le plus important ! Cela permet également aux citoyens d’appréhender la difficulté de mettre sur pied un projet et d’apprendre à trouver le compromis. Le budget participatif est une idée brillante qui est maintenant en place dans une centaine de villes.
Une autre initiative qui est partagée à travers le monde concerne les vélos en libre-service. C’est une contribution à la réduction des émissions de CO2, à l’amélioration de la santé, à la réduction du bruit, à la création de pistes cyclables sécurisées, etc. Cette action change beaucoup de choses !
Mon initiative favorite concerne les « visas urbains », un projet imaginé par la Stern School [l’école de commerce de l’université de New York]. Avec ces visas, temporaires et renouvelables, les maires auraient une nouvelle compétence : réguler l’immigration illégale. Les maires pourraient ainsi inciter les clandestins à s’enregistrer auprès des services de police, à scolariser leurs enfants, à respecter les règles de civisme, à avoir une démarche d’insertion sociale et professionnelle dans la ville, etc.
Les maires peuvent-ils unir leurs forces au niveau international ?
Oui, et cela ne date pas d’hier. Le premier collectif de maires de niveau international s’est réuni en 1913 à Gand, sous le nom de
Depuis, de nombreux réseaux de maires ont vu le jour. Certains sont très dynamiques et inspirants : UCLG (Cités et gouvernement locaux unis), initié en 2004, qui regroupe plus de 1 000 villes ; CITYNET, un collectif d’une centaine de villes d’Asie et de plusieurs ONG, inauguré en 1987 ; EFUS (Forum européen pour la sécurité urbaine), instauré la même année ; Energy Cities Europe, qui comme son nom l’indique parle d’énergie, mis en vigueur en 1990 . Le dernier né qui m’impressionne beaucoup est le réseau C40 climate cities. Depuis 2005, cette organisation regroupe 75 des plus grandes municipalités du monde et aborde tous les sujets autour du climat et de l’efficience énergétique.
Tous ces réseaux internationaux de maires partagent des pratiques, des idées et ils développent des principes communs.
Pourquoi proposez-vous d’instaurer un parlement mondial de maires ?
Tous ces regroupements internationaux de municipalités sont regroupés par domaine spécifique : énergie, climat, sécurité, gouvernance, etc. Il me semble nécessaire de favoriser leur coopération. Car, par exemple, le changement climatique crée des maladies pandémiques, des réfugiés climatiques, une immigration illégale, etc. Vous ne pouvez donc pas traiter un sujet à la fois.
Il n’y a pas de force politique, de pouvoir législatif au-dessus de ces réseaux internationaux de maires. Nous avons besoin d’un organe commun au sommet, où toutes les cités du monde, sur tous les domaines, pourraient rassembler leur pouvoir décisionnaire. C’est en cela qu’il me semble pertinent d’instaurer un parlement mondial des maires.
Comment réagissent les réseaux de maires déjà en place quand vous et votre équipe leur proposez la création de ce parlement ?
Ils ont peur qu’il soit un duplicata, ils craignent que nous soyons des arrivistes et pensent que nous allons les voler.
Nous souhaitons juste rendre plus efficientes toutes ces organisations, compartimentées par spécialités. Nous voulons faciliter la réalisation de leurs idées pour transformer le pouvoir du cerveau en force politique.
Notre plus grande tâche est de persuader les réseaux que notre volonté est de construire avec eux, de leur apporter plus de solidité, de concrétiser leurs idées communes par des lois communes.
Le 23 et 24 octobre 2015, nous avions prévu d’inaugurer ce parlement mondial. Mais cela est décalé à l’année prochaine. Nous voulons prendre le temps. Nous voulons être sûrs que tous les maires comprennent notre démarche. Nous voulons qu’ils deviennent des partenaires. Nous ne ferons rien sans leur accord. Nous programmerons l’inauguration de ce parlement mondial durant l’été 2016, certainement au mois de juillet.
Propos recueillis par Thomas Masson
Pour aller plus loin : Benjamin Barber, Et si les maires gouvernaient le monde ? Décadence des États, grandeur des villes
Lire aussi : Ces maires qui changent la France
Maires ou Mères ? 😉
Sujet très intéressant. Il est vrai que les maires sont le premier maillon de la pyramide gouvernementale existante. C’est une tâche difficile. Être maire, c’est un métier ET une passion pour son territoire. La création d’un parlement pourrait peut être permettre, au même titre que toute initiative visant à reconnecter le citoyen avec son gouvernement, de faire naître de la cohérence. Qu’elle soit à l’échelle nationale que mondiale!
En revanche, je me pose une question…A l’heure où le projet de loi NOTRe est dans les tuyaux dans notre bon vieux pays (projet de loi visant à transférer les compétences des communes aux collectivités), que vont devenir les maires?
Très intéressant point de vue.
Mais il ne faut pas oublier ceci :
« Dès que nous disons le mot « démocratie » pour nommer notre mode de gouvernement qu’il soit américain, allemand ou français, nous mentons. La démocratie ne peut jamais être qu’une idée régulatrice, une belle idée dont nous baptisons promptement des pratiques très diverses. Nous en sommes loin, mais encore faut-il le savoir et le dire » Feu Alain Etchegoyen, ex-patron du Commissariat général au Plan dans « La démocratie malade du mensonge », petit ouvrage toujours disponible
Et ceci d’un Serge-Christophe Kolm : « Nous sommes victimes d’un abus de mots. Notre système (les « démocraties » occidentales) ne peut s’appeler « démocratique » et le qualifier ainsi est grave, car ceci empêche la réalisation de la vraie démocratie tout en lui volant son nom. »
Mais avant tout gardons toujours à l’esprit cette pertinente affirmation d’ Alexis de Tocqueville « Ceux qui regardent le vote universel comme une garantie de la bonté des choix se font une illusion complète. »