Faut-il défiler dans la rue dimanche ?

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    La tournure que prend la manifestation de dimanche après-midi à Paris, qui est désormais officiellement « une manifestation internationale contre le terrorisme » m’interroge et m’inquiète. Et particulièrement la récupération politique qui en est faite.
    Car, contre (ou pour) quoi sommes-nous supposés descendre la rue ?

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    AFP PHOTO / MARTIN BUREAU

    Contre le terrorisme ?

    Oui, nous sommes affectés dans nos chairs, nous avons connu des scènes de violence devenues extrêmement rares en France (alors qu’elles sont malheureusement bien plus fréquentes pour nombre d’être humains en Irak, en Palestine, en Syrie, en Israël, au Liban, au Yémen, au Mali, au Brésil, en Ukraine pour ne citer que ces pays). Il est difficile de ne pas nous sentir « attaqués ». Mais que signifie ce défilé aux côtés de François Hollande, Angela Merkel, David Cameron, Jean-Claude Juncker, Petro Porochenko… Si nous avions quelque chose à demander pour que cesse, ou diminue la menace terroriste, à qui faudrait-il le faire ?

    À qui envoyer ce message pour que le conflit israélo-palestinien trouve enfin une issue et ne serve plus d’alibis aux pseudo-djihadistes du monde entier ? À qui demander de réduire les inégalités qui excluent des femmes et des hommes dans notre pays, à qui demander de rompre avec la volonté de domination et de suprématie des pays occidentaux qui se permettent de larguer des bombes lorsque cela leur semble justifié, à qui parler de la guerre économique et de ses victimes dans les pays les plus fragiles, qui regardent l’occident avec une haine grandissante ? Qui alerter sur la nécessité de repenser notre système judiciaire, de creuser les raisons qui amènent des jeunes délinquants à devenir de dangereux criminels après quelques années de détention ?

    Pour la liberté de la presse ?

    Oui, un média qui défendait la liberté de la presse a été sauvagement attaqué. Oui, des journalistes et dessinateurs courageux ont été massacrés par des intégristes. Oui, nous vivons dans un pays dans lequel il est encore possible d’exprimer ses idées de façon libre et il s’agit de l’une de nos libertés les plus précieuses. Nous devons la défendre bec et ongles, nous dresser pour elle. Les assassinats de Cabu, Wolinski, Charb, Tignous, Bernard Maris et tous leurs amis sont abjects comme l’ont été les assassinats de James Foley et Steven Sotloff (les deux journalistes américains), de Sofien Chourabi et Nadhir Ktari (les deux journalistes tunisiens), Raad al-Azzawi (le caméraman irakien)…

    Il était à la fois nécessaire et bouleversant de descendre spontanément dans la rue mercredi, d’allumer des bougies, de poster des messages partout dans le monde et dans toutes les langues.

    Mais, à nouveau, quel est le sens de défiler avec tous ces leaders politiques lorsque Julian Assange ou Edward Snowden sont toujours retenus dans une forme de captivité ? Lequel de ces pays s’est proposé de leur donner asile ? N’ont-ils pas fait plus pour la liberté d’informer que de nombreux journalistes ces dernières années ?

    D’autre part, nous savons ce qui garantirait une plus grande liberté de la presse (et qui serait autrement plus puissant que défiler) : la libérer du poids économique de la publicité et des grands groupes qui en sont propriétaires (dont certains marchands d’armes que nous connaissons bien). Ce qui signifie : payer pour l’information, acheter la presse, lui donner réellement son indépendance.

    En hommage aux victimes ?

    C’est sans doute à mes yeux, la raison qui reste la plus légitime.

    Nous sommes descendus dans la rue mercredi pour cela. Hier soir encore, j’étais avec près de 300 personnes dans les rues de Dreux, où j’habite (après une journée de peur à Paris, où je travaille) avec de nombreux musulmans qui tenaient à dire publiquement (même s’il y a quelque chose d’indigne dans le fait de les mettre dans une pareille position) qu’ils étaient avec nous tous pour pleurer ces morts, pour condamner ces atrocités et c’était bon de se sentir ensemble.

    Cela le sera sans doute aussi demain. Mais, je ne crois pas que j’en serai. À nouveau, il y a pour moi (et je ne parle que pour moi) quelque chose d’obscène dans la façon dont tous ces gouvernements se placent stratégiquement du côté des victimes, sans prendre l’ombre d’une responsabilité dans ces situations. J’aurais été plus à l’aise dans un rassemblement populaire auquel ils se seraient joints avec la décence et l’humilité de se taire. Mais nous savons bien qu’un responsable politique en fonction est rarement capable de pareille chose…

     

    Cyril Dion
    Directeur de la rédaction

     


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