La tribune des 100 femmes défendant « la liberté d’importuner » publiée le 9 janvier dans Le Monde fait grand bruit.. Il y a les « pour », les « contre », ceux qui ne savent pas bien… mais de quoi parle-t-on ?
Tribune par Gaëlle Baldassari, Coach et formatrice spécialisée dans l’accompagnement des femmes.
Nous parlons de femmes victimes, voire même de « Femme Victime », comme une globalité. Or il me semble qu’une lecture détaillée de la position victimaire des femmes permet de considérer le prisme déformant par lequel elles passent malgré elles. La position victimaire surgit dans trois situations bien différentes, et dans chaque cas, la reconnaissance des femmes en tant que victime est défaillante.
Dans l’espace public, la femme est à priori victime. Si en plus il fait sombre et que l’endroit est désert… la situation est communément reconnue comme « dangereuse ». Aussi dans ces conditions, et même en l’absence d’un danger réel, les femmes sont majoritairement dans une posture de « proie » potentielle. Inquiètes, elles regardent autour d’elles, pressent le pas, au cas où… Se faisant, elles envoient l’information au monde « j’ai peur ». Est-ce normal qu’aujourd’hui les femmes aient peur d’occuper l’espace public ? *
Dans les médias, cette position « à priori » victimaire des femmes est renforcée par une surreprésentation des femmes du côté des victimes alors qu’elles sont sous-représentées sur les bancs des experts et autres commentateurs de l’actualité.Il y aurait donc a faire passer le curseur de victime potentielle à individu ayant des droits et des devoirs sur l’espace public.
Quand il arrive qu’une femme soit victime d’une agression, elle passe d’abord par la case « suspecte ». Alors que ce serait le moment idéal pour reconnaître qu’elle est victime, par un jeu de société particulièrement pervers, elle se retrouve à décrire sa tenue vestimentaire, à devoir vérifier que son comportement n’était pas équivoque. « A-t-elle provoqué ce qui lui est arrivé ? » voilà la question qui passe en filigrane au-dessus de sa tête. Est-elle vraiment victime ou finalement complice de sa propre agression ? Si les femmes sont « a priori » victimes, comment se fait-il qu’il soit si difficile de les reconnaître comme telles quand elles viennent faire part de leur vécu ?
Une nouvelle fois le curseur sociétal est en panne, alors qu’il devrait accueillir la parole des victimes et les reconnaître.
Quand une femme qui a été victime d’une agression ne se sent plus/pas victime. Quand elle décide que cette atteinte ne doit pas la définir. Quand elle invoque le droit à la liberté d’être heureuse, de passer à autre chose, de jouir de la vie, la vox populi lui rappelle qu’elle est, et restera, victime aux yeux de tou.te.s. Qui peut choisir de se sentir ou non victime, de porter les stigmates ou d’avoir pensé les plaies jusqu’à effacer les cicatrices ? Quelle est cette société dans laquelle vivre après une agression n’est pas chose normale ?
Une dernière fois, le curseur défaillant de la victimation des femmes entre scène et fait de la femme qui ne se reconnaît pas victime, une victime de fait et devant l’éternel.
Il ne tient qu’à nous de faire société, de remettre ces curseurs à leur place, de redonner leur juste place aux femmes dans le monde ; c’est-à-dire exactement là où elles souhaitent se trouver dans la tenue, la position qui lui siéent. D’accueillir dignement, avec respect et empathie la parole des victimes. Puis de laisser à chacune qui a un jour été victime, la liberté de cheminer dans sa vie sans imposer collectivement une marque indélébile.
Pour cela il est important que les femmes s’approprient l’espace, qu’elles refusent d’être confinées ou raccompagnées à leur porte, qu’elles arrêtent de se penser victimes et qu’on arrête de les regarder comme telles. En rappelant notamment que 90% des agressions à caractère sexuel sont le fait d’une personne connue et en limitant l’exposition dans la presse des affaires « sensationnelles de viols dans l’espace public par des inconnus » qui sont marginales. Les victimes et les personnes qui accueillent leur parole doivent s’interdire de traiter différemment femmes et hommes.
Avant de poser une question sur la tenue vestimentaire[i] ou d’accepter d’y répondre (que ce soit devant un tribunal ou lors du dépôt de plainte), il serait intéressant de vérifier dans quelle mesure une telle question aurait pu être posée à un homme. Laissons, enfin, chacun.e vivre l’après agression à sa façon, si on peut s’enquérir de la façon dont se portent les anciennes victimes, nul n’est besoin de les considérer comme telles si elles ne se considèrent plus victimes. Respectons ce choix personnel de se définir ou non comme victime, et acceptons qu’il soit révisable dans le temps.
* Note : L’enquête « Victimisation et sentiment d’insécurité en Île-de-France »[ii] montrait en 2012 que 67,1 % des enquêtées ont peur, au moins de temps en temps, dans les transports en commun, à leur domicile ou dans leur quartier le soir, contre 34,3 % des hommes
[i] L’exposition « Tu étais habillée comment? » démontre l’absence de lien entre la tenue vestimentaire et l’acte de violence sexuelle