La parentalité numérique contre la société des écrans

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    Confinement, télétravail, réseaux sociaux… la vie devant les écrans, omniprésents, occupe près du tiers de notre quotidien. Des études alarment sur les effets à long terme de cette exposition précoce et intensive : troubles du langage, de la mémoire, du sommeil, de l’attention, myopie, surpoids… Pour protéger nos enfants, regardons les choses en face et suivons l’exemple des pionniers de la Silicon Valley !

     

    Tout commence par un ouï-dire, un bruit de couloir à vérifier. Est-il vrai que les ténors de la Silicon Valley, les chefs d’orchestre du monde numérique, limitent l’accès de leurs enfants à la télévision, aux tablettes et aux smartphones dernier cri, leur interdisant d’utiliser des écrans pour ne pas nuire à leur développement ? Oui, c’est exact. Ainsi, une série d’articles du New York Times publiée en 2010, 2011 et septembre 2014, témoigne de l’éducation « sans écran » donnée aux enfants des P.-D.G. du secteur du high-tech. « Nous limitons l’utilisation de la technologie par les enfants », disait déjà Steve Jobs en 2010 au sujet de sa vie de famille.

    Dix ans plus tard, même son de cloche du côté des pionniers des réseaux sociaux. Plusieurs d’entre eux, ex-cadres dirigeants de Google, Facebook, Instagram, Pinterest ou Twitter, rencontrés dans le cadre du documentaire The Social Dilemma (Derrière nos écrans de fumée, accessible sur Netflix depuis septembre 2020), affirment toujours strictement limiter le temps d’écran de leurs enfants, « interdisant souvent les gadgets électroniques les veilles d’école et fixant des limites très strictes les week-ends », précise le New York Times. Une règle commune : pas d’écran dans la chambre. Le contraste est radicalement différent et d’autant plus net avec les mesures de « temps écran » les plus récentes.

     

     

    Surdose à tous les âges

    Plus de treize heures par jour, dont au moins quatre heures sur un ordinateur ! Tel est le nouveau record de « temps écran » établi en 2020. Travail, temps libre, tablette, consoles, smartphones, nous n’avons jamais passé autant de temps les yeux rivés sur des écrans, d’autant que le confinement a encore augmenté les choses, en doublant les temps d’appel en visio par exemple. Selon ce sondage réalisé auprès de deux mille personnes par le cabinet d’études marketing britannique OnePoll, un tel volume de temps passé devant un écran représente en moyenne pour un adulte l’équivalent de trente-quatre années de vie.

    Ces chiffres sont en ligne avec d’autres constats. Un sondage Nielsen, mené aux États-Unis en 2018, avait compté onze heures de temps d’écran, dont plus de quatre devant la télévision. L’enquête CoviPrev de Santé publique France, publiée en juin 2020, a noté en France pas moins de cinq heures d’écran par jour pendant le temps libre, et jusqu’à sept heures ou plus pour un quart d’entre nous, les plus diplômés, les télétravailleurs, les urbains et les jeunes. Cette surconsommation des écrans qui augmente en période de confinement s’observe en effet à tous les âges.

    Plus de treize heures par jour, dont au moins quatre heures sur un ordinateur ! Tel est le nouveau record de « temps écran » établi en 2020. crédits : Jasmin Sessler/Pixabay

    Ainsi, pour l’étude de la société de logiciels antivirus NortonLifeLock, présentée en septembre 2020, les enfants ont passé en France jusqu’à 8 heures 49 devant un écran pendant le premier confinement. Contre 4 heures 41 auparavant en moyenne. Plus de huit heures, c’est-à-dire l’équivalent d’une journée d’école complète en ligne. « Dès 2 ans, les enfants des pays occidentaux cumulent chaque jour presque trois heures d’écran en moyenne, résume le docteur en neurosciences et directeur de recherche à l’Inserm Michel Desmurget dans son livre La Fabrique du crétin digital. Entre 8 et 12 ans, ils passent à près de 4 heures 45. Entre 13 et 18 ans, ils effleurent les 6 heures 45. » Selon des chiffres Ipsos de 2017, 36 % des 7-12 ans possèdent une tablette et 22 % un smartphone. Une étude anglaise de 2017 rappelle que 75 % des enfants âgés de 6 à 36 mois manipulent des écrans tactiles au quotidien, et qu’ils sont 92 % après 2 ans. Pour quels effets ?

    Pour en avoir le cœur net, des chercheurs américains ont réalisé en 2012 des tests avec de jeunes souris, en les soumettant dix jours après leur naissance à des flashs lumineux synchronisés à des bandes-son de dessins animés. Exposés six heures par jour, durant quarante jours, les souriceaux âgés de 7 semaines ne se comportaient pas normalement. Ils étaient plus frénétiques et présentaient des difficultés d’apprentissage. « Chez les humains, nous observons dans nos études que l’exposition à des programmes rapides, dès le premier âge, diminue l’attention et augmente l’impulsivité. Nous constatons le même phénomène chez des souris », décrit le pédiatre Dimitri Christakis, du Seattle Children’s Research Institute, dans le documentaire Génération écrans, génération malade ?, diffusé sur Arte en septembre 2020. « Notre hypothèse est la suivante, explique-t-il face caméra. L’exposition rapide et prolongée à des vidéos rapides et saccadées conditionnerait le cerveau à une surstimulation qui conduirait plus tard à des problèmes d’attention. »

     

     

    Pas d’écran dans la chambre !

    L’utilisation des écrans le soir dans la chambre ou avant de se coucher perturbe sérieusement la qualité du sommeil. Une étude de 2017 fait aussi le lien, pour la première fois, entre l’usage des écrans tactiles et le manque de sommeil chez les plus jeunes. Car le sommeil est bien la deuxième victime de nos écrans. Nous avons perdu en moyenne deux heures de sommeil au cours du siècle dernier, et les 15-17 ans, 50 minutes au cours des vingt-cinq dernières années. « Les recherches montrent que le numérique est l’ennemi du sommeil et du repos des jeunes », résume l’Observatoire régional de santé d’Île-de-France dans son rapport de janvier 2020 sur le sommeil des jeunes franciliens à l’ère du numérique. En cause principalement, la lumière bleue artificielle des écrans à laquelle les moins de 15 ans sont particulièrement sensibles et qui réduit la sécrétion de mélatonine, l’hormone qui facilite l’endormissement.

    Nos yeux sont également soumis à rude épreuve. Cette forme de myopie des écrans – on parle de « myopie fonctionnelle » – est à l’origine de conseils comportementaux comme celui, toutes les heures, de faire une pause de 5 minutes et de regarder au loin, pour défiger sa vision. Pour les experts, l’augmentation du temps passé devant les écrans, à courte distance des yeux et depuis le plus jeune âge, est à pointer du doigt. « Confronté ainsi fréquemment à une faible profondeur de champ durant la croissance, l’œil s’adapte et a tendance à se modifier pour s’orienter principalement vers la vision de près, ce qui est la définition de la myopie, » explique Gabriele Thumann, ophtalmologiste aux Hôpitaux universitaires de Genève (HUG). Un autre phénomène clairement établi est le manque d’exposition à la lumière du jour. Cette réduction, voire cette privation, due à nos comportements devenus trop sédentaires nuit à la croissance de l’œil. En résumé, plus on reste confiné, plus on risque de devenir myope. Favoriser les activités en extérieur, jouer une heure dehors par exemple, permet de diminuer fortement le risque de myopie.

    Pour les experts, l’augmentation du temps passé devant les écrans, à courte distance des yeux et depuis le plus jeune âge, est à pointer du doigt. « Confronté ainsi fréquemment à une faible profondeur de champ durant la croissance, l’œil s’adapte et a tendance à se modifier pour s’orienter principalement vers la vision de près, ce qui est la définition de la myopie. »

     

    Moins d’écrans pour parler plus ?

    L’usage excessif des écrans affecte aussi le développement du langage et des compétences sociales. « Le fait de se retrouver le matin devant un écran, quel qu’il soit, avant d’aller à l’école ou la crèche multiplie le risque de retard de langage par 3,5, » rapporte Michel Desmurget, citant des travaux de 2018 menés par une équipe française auprès d’enfants âgés de 3,5 à 6,5 ans. Ce retard linguistique prend racine dans l’appauvrissement des stimulations verbales, surtout à un âge où le cerveau se structure en s’imprégnant de toute sorte d’apprentissage. D’autres chercheurs ont équipé 329 bambins de 2 à 48 mois de magnétophones, enregistrant durant plusieurs mois le nombre de mots circulant autour d’eux. « En moyenne, dans la journée, les enfants entendaient 925 mots par heure. Lorsque la télévision était allumée, ce compte tombait à 155 mots, soit une baisse de 85 % », énumère le chercheur de l’Inserm.

    L’usage du mobile appauvrit aussi fortement les échanges tant verbaux que non verbaux, notamment ceux de l’engagement parental et des encouragements. Notre cerveau étant câblé pour détecter et répondre aux sollicitations et aux stimuli visuels et sonores, chacun est pris, captivé, dans sa bulle d’activité numérique. Des résultats similaires d’absence, de distraction, ont été mis en évidence avec la télé et les consoles de jeux. Plus les enfants et les parents passent de temps sur l’écran, plus la richesse de leurs relations se dégrade.

    « L’humain ne peut être attentif à la fois à ses outils numériques et à l’environnement, analyse Michel Desmurget. Autrement dit, quand un parent ou un enfant s’occupe de son smartphone, il ne peut accorder à autrui qu’une attention distraite. » L’ado devant son écran ne répond plus à ses parents. Les parents sur les réseaux sociaux ne répondent plus au regard ni au sourire de leurs petits en poussette. Ce manque de stimulations verbales et corporelles freine le développement moteur, cognitif, affectif et social de l’enfant. Comment décoder et apprendre d’un visage qui ne vous parle pas ou ne vous regarde pas ?

    L’usage excessif des écrans affecte aussi le développement du langage et des compétences sociales

     

    3-6-9-12 et exemplarité parentale

    Des solutions existent. La première d’entre elles, celle que les pionniers du numérique appliquent depuis quinze ans, est de réduire l’accès aux technologies numériques. Depuis 2008 et les premières recommandations de précaution de l’Académie américaine de pédiatrie, le psychiatre Serge Tisseron s’est fait le relais de règles d’usage claires, minimales et faciles à mémoriser : le fameux 3-6-9-12. Pas d’écran avant l’âge de 3 ans, puis un temps d’écran limité à trente minutes ensuite, avec un parent. Pas de console de jeux avant 6 ans, avec un temps d’écran limité à une heure et dans une pièce de vie commune. Pas d’Internet avant 9 ans, et pas non plus d’Internet seul ou d’inscription à un réseau social avant 12 ans.

    Ces consignes sont similaires à celles déjà en usage à la Silicon Valley. Quand des parents peuvent offrir un mobile à leur enfant à partir de 8 ans, là-bas, nombre des parents qui travaillent dans les nouvelles technologies attendent que leur enfant ait 14 ans, relate le New York Times. « Les enfants de moins de 10 ans semblent les plus enclins à devenir dépendants, leurs parents n’autorisent donc aucun gadget pendant la semaine. Le week-end, ils posent des limites de trente minutes à deux heures pour l’utilisation de l’iPad et du smartphone. Et les enfants de 10 à 14 ans ont le droit d’utiliser les ordinateurs les veilles d’école, mais uniquement pour faire leurs devoirs. »

    « Le meilleur moyen de combattre les mauvaises pratiques est d’encourager les bonnes. Par exemple : pas de téléphone dans sa chambre, instauration d’un couvre-feu numérique, activités partagées en famille »

    La prévention est fondamentale, insiste Serge Tisseron. « Le meilleur moyen de combattre les mauvaises pratiques est d’encourager les bonnes. Par exemple : pas de téléphone dans sa chambre, instauration d’un couvre-feu numérique, activités partagées en famille », explique le psychiatre. La lecture de comptines, les jeux en extérieur, avec l’engagement des municipalités à proposer des aires de jeu et des espaces verts dédiés aux petits font partie des « pratiques vertueuses ». Un truc pour responsabiliser un enfant est de noter dans un carnet le temps passé devant l’un ou l’autre écran. À lui alors de choisir comment gérer son temps d’écran. Et pour les parents : évitez le mobile ou la télévision durant les repas, profitez-en plutôt pour discuter en famille et vous raconter votre journée. « Les parents ont un rôle essentiel à jouer, aussi bien en tant qu’autorité éducatrice que comme modèle d’imitation », rappelle Serge Tisseron.

    La bonne nouvelle, nous assurent les chercheurs, est que l’accoutumance aux écrans n’est pas inéluctable. À nous, les parents, les adultes, de donner l’exemple !


    Pour aller plus loin

    www.santepubliquefrance.fr

    www.sergetisseron.com

    www.levelesyeux.com

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