La voix des Oasis – La Ressourcerie du Pont, vivre ensemble avec moins

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    L’histoire des fondateurs de la Ressourcerie du Pont, au Vigan dans les Cévennes, est celle d’une vie communautaire, nomade et antisystème. Ils ont désormais « sédentarisé » leur organisation dans une ancienne usine textile, pour mieux déployer une action transversale où arts du spectacle, récup’, vie personnelle, professionnelle et activisme ne font qu’un.

    Avant de créer la Ressourcerie du Pont, au Vigan, Elise, Sébastien et Antoine, ont vécu une longue histoire commune : une aventure picaresque faite de spectacles de rue sur le thème des couleurs et de la paix, joués à travers l’Europe, les États-Unis, le Mexique, le Guatemala. Une épopée marquée par des rencontres (avec le représentant des indiens Navajo Leon Secatero notamment, en 2006), par l’organisation de festivals et d’actions telles qu’une Marche pour le Vivant qu’ils mènent pendant 3 mois en France en 2007, par beaucoup de bénévolat, de coups de mains pour d’autres organisations et de chantiers collectifs. Une vie d’engagement qu’ils mènent au gré de squats et autres colocations, toujours éphémères : une friche industrielle près de Lyon, une ancienne colonie ailleurs, etc…

    Le temps fort de cette aventure commune est sans doute la période de sept ans passés sans argent (et sans RSA), dont cinq dans un village de cabanes en forêt avec d’autres amis (de 2008 à 2013), au col de la Tribale dans les Cévennes. « Nous avons constaté à quel point cet allègement nous rendait fort », se souvient Élise, en retraçant cette période où ils se nourrissaient notamment de produits invendus, donnés en échange de coups de mains sur un marché, consacrant le reste de leur temps au bricolage dans leurs cabanes et aux luttes du moment (contre le gaz de schiste). Une vie qui avait pour objectif plus large de démontrer que l’on peut être écologiste sans dépendre des minimas sociaux. Et vivre heureux hors du système, sans alimenter la machine capitaliste. Leur camp de cabanes sera finalement évacué par la gendarmerie sans décourager la bande de poursuivre sa quête de sens.

    L’atelier réparation d’appareils électroniques de la ressourcerie du pont

    « Nous avons vécu sept ans sans argent (ni RSA bien entendu), dont cinq en forêt dans les Cévennes. Nous avons constaté à quel point cet allègement nous rendait fort… »

    Récup’ et festivals

    Aujourd’hui, Elise, Sébastien et Antoine vivent au Vigan, dans une collocation avec Mélanie, bénévole à la Ressourcerie. Autour d’eux gravitent toujours ceux qui ont partagé leurs aventures successives. Cette communauté, formée en cercles concentriques, agrège une vingtaine de copains et voisins impliqués presque quotidiennement dans leurs projets. D’autres sont éparpillés sur le territoire, notamment dans le réseau des Oasis auquel ils participent, qui peuvent aussi répondre présents à chaque fois que nécessaire. Plus largement, des milliers de participants guettent les festivals qu’ils organisent ou leur prochain chantier participatif. Un soutien humain nécessaire : ces dernières années leurs projets se sont structurés et ont pris de l’ampleur. En particulier celui de la ressourcerie (lire notre article 2), au point que l’équipe a décidé de devenir propriétaire de l’ancienne usine textile qui l’héberge.

    L’entrée de la boutique de la ressourcerie du pont

    Parallèlement la bande de copains a poursuivi son activité événementielle et créé une association ad hoc appelée Village du Possible. Elle co-organise ses propres festivals (Foire à l’autogestion, Rêves de convergence, Souffle du rêve, Terre de Convergence…) et peut réunir de mille à plusieurs milliers de personnes (jusqu’à 30 000 sur 15 jours) lorsque des partenaires se greffent. Leur Village du Possible propose aussi ses services (de location, notamment) aux organisateurs d’événements qui disposent ici de toute la logistique nécessaire pour un camp complet : cuisine, son, lumières, chapiteaux, toilettes sèches, etc. Un véhicule et un groupe électrogène (fonctionnant tous les deux à l’huile de friture), un éclairage de scène minimal, des systèmes de cuisson solaires et au feu de bois, des menus véganes, des structures légères comme des zomes (ces chapiteaux à la forme géométrique et composée de losanges agencés en double spirale), du mobilier, de la vaisselle et des ustensiles issus de la récupération : l’association a poussé loin la stratégie de sobriété, souvent agacée par des festivals prétendument « éco-responsables » qui engloutissent en réalité d’impressionnantes quantités d’électricité, de carburant, de vaisselle jetable, de viande etc.

    Cueillettes, échanges et commandes groupées

    La vie quotidienne des colocataires est aussi organisée autour de leur quête de sobriété et d’autosuffisance partagée. Les couches successives d’expériences ont pérennisé des pratiques et des habitudes alimentaires, énergétiques, vestimentaires etc. « On coopère avec Sarah, une amie maraîchère que l’on aide environ sept heures par semaine en échange de légumes (souvent les invendus) », explique Sébastien. Cela remplit largement le garde-manger des quatre colocataires.

    Terre de Convergence – un écofestival organisé par l’équipe de la Ressourcerie en août 2019 dans les Cévennes

    « On a été végétaliens, ajoute Antoine, et on le reste pour l’essentiel, à l’exception d’un peu de fromage et d’oeufs pour certains, mais c’est exceptionnel. Ce régime alimentaire facilite beaucoup les choses. Nous préparons des conserves de ratatouilles, de cerises, de pêches. Nous ramassons régulièrement des algues dans un étang, avant de les déshydrater. Nous préparons aussi des coulis, des tomates séchées, des boissons (kéfir, kombutcha, jus, boissons à base d’orties, champagne de sureau), des pestos très variés au gré des plantes sauvages cueillies. Nous récoltons et transformons des châtaignes en crèmes stérilisées ou en flocons. ». Antoine précise que les parents de Sébastien sont des spécialistes de la transformation et leur ont transmis une foule de recettes. « Aujourd’hui, il n’y a guère que les céréales, le lait d’avoine et la bière qui nous demandent de dépenser de l’argent. Nous passons des commandes groupées pour cela, à des producteurs ou des magasins locaux », conclue-t-il.

    Un des enseignements forts de leur démarche alimentaire est aussi la nécessité d’entraide souvent mise de côté dans les réflexions sur le sujet. « On met trop en avant les recherches d’autosuffisance individuelles. Or, plutôt que de rester seul dans son coin et chercher à tout faire en petite quantité chez soi, mieux vaut s’organiser avec les paysans qui sont des spécialistes » expliquent-ils. Une réflexion qui découle d’un principe de fonctionnement important dans la vie de ce groupe : « À chaque fois que c’est possible, nous préférons contribuer aux actions existantes plutôt que de créer nos propres initiative » précise Élise.

    « On met trop en avant les recherches d’autosuffisance individuelles. Or, plutôt que de rester seul dans son coin et chercher à tout faire en petite quantité chez soi, mieux vaut s’organiser avec les paysans qui sont des spécialistes… »

    Employeurs bénévoles

    Avec quoi ces bénévoles à plein temps paient-ils le peu qu’ils achètent ? Après avoir longtemps (7 ans) refusé le RSA auquel ils avaient accès, ils ont fini par l’accepter… De quoi payer les premiers loyers de la ressourcerie (1 780 euros par mois) et assurer la pérennité de ce projet d’intérêt général auquel ils consacrent l’essentiel de leur temps, le plus souvent weekends compris. Ce revenu d’aide public revient ainsi, en quelque sorte, à soutenir leurs actions d’intérêt général…

    En quelques années, la ressourcerie a créé plusieurs emplois, mais la petite bande est restée bénévole et aime particulièrement l’idée de vivre sans revenus salariés tout en initiant et animant des activités qui en créent. Néanmoins leurs projets se concrétisent et prennent de l’ampleur, si bien que, parfois, certaines de leurs missions sont progressivement payées – la coordination d’événements, par exemple – et qu’ils envisagent désormais de créer leurs propres emplois, à conditions que ceux-ci continuent à servir la transition territoriale.

    « À chaque fois que c’est possible, nous préférons contribuer aux actions existantes plutôt que de créer nos propres initiative »

    La boutique de la ressourcerie du pont

    L’activité croissante et l’entente de cette troupe d’activistes n’est possible que grâce à des protocoles de décision clairs, exigeants, forgés par leur expérience de la vie communautaire. Leurs décisions sont élaborées au consensus (au mieux), au consentement (à défaut de consensus) ou à la majorité – cela n’a jamais été nécessaire. « Quand on n’est pas d’accord, on parle et on se laisse le temps de mieux connaître chaque option », précise Élise. De même « ce sont les « présents-actifs » qui décident » ajoute Sébastien, qui a découvert ce principe avec les Indiens d’Amérique. Il précise que les bureaux des associations sont collégiaux et composés de bénévoles qui n’ont pas de pouvoir particulier mais une tâche essentiellement administrative : appliquer ce qui est décidé par les « présents-actifs ».

    Autrement dit, et de manière plus formelle, la Ressourcerie du Pont se réunit une fois par trimestre (salariés et bénévoles), et régulièrement entre les seuls salariés. L’association Village du Possible se réunit, elle, une fois par semaine, notamment chaque fois que des actions ambitieuses sont en route. En particulier pour la recherche d’une terre de 100 hectares où installer le projet Terre de Convergence : un festival des alternatives qui veut devenir un site permanent, un lieu vitrine de la transition écologique de trois manières : agricole, événementielle et par la protection de la biodiversité. Dans le contexte particulier de ce projet plus lourd, en plus des protocoles déjà décrits (consensus et présents-actifs) les participants déterminent quatre rôles (donneur de parole, preneur de notes, facilitateur et gardien du temps), afin que les réunions soient plus cadrées. Et ne s’éternisent pas. Néanmoins, ici comme ailleurs, les problèmes relationnels font partie du quotidien: « Récemment, certains habitants impliqués dans la ressourcerie se sont désengagés, confie Élise, mais sans cesser de profiter de petites contreparties, comme l’accès aux jardins de notre amie maraîchère – réservé aux membres qui consacrent beaucoup de temps au bénévolat. La clarification et le rééquilibrage peuvent être des moments désagréables, évidemment… ».

    En quelques années, la ressourcerie a créé plusieurs emplois et l’association a co-organisé des éco festivals réunissant plusieurs milliers de personnes

    Au delà de ce constat, ceux qui sont inspirés par cette équipe et ses réalisations doivent savoir que l’implication d’Élise, Sébastien et Antoine engloutit absolument toute leur vie. Leur logement est leur bureau, leurs colocataires sont aussi leurs collègues de travail, les pauses et vacances sont rarissimes voire absentes, et la maison n’est habitée par aucun enfant. “C’est plutôt l’effet d’une vie très occupée, ne laissant pas de place pour un projet familial, que le résultat d’une démarche anti-enfant, précise Sébastien. Certains d’entre nous en veulent et cela nous enthousiasme tous. Notre communauté élargie – qui inclut la vingtaine de personnes avec lesquelles on a eu l’occasion d’habiter – compte des familles avec enfant. Du reste l’une de nos réflexions actuelles, avec tous ces amis, consiste à imaginer comment fonctionner comme un écolieu, sans forcément habiter au même endroit : poursuivre une vie collective, partager et mutualiser le maximum de choses”. Une nouvelle page de cette épopée collective qui, progressivement, incarne des alternatives de plus en plus reproductibles. Sans être moins radicales !


    Récupération, mutualisation et entraide pour une vie plus sobre.

    Habitat partagé / collocation : 
    ➤ Eau électricité et gaz : 32,4 euros / personne / mois
    ➤ Chauffage : le poêle à bois consomme 3 stères récupérées par an. Les colocataires qui ont vécu 5 ans en habitat léger chauffent peu et ont l’habitude de s’habiller quand il fait froid.

    Alimentation : 
    ➤ 50% des besoins sont satisfaits grâce à un échange avec une maraîchère : 7 heures d’aide contre des légumes et fruits en quantité suffisante pour ne pas avoir besoin d’en acheter.
    ➤ Le reste : essentiellement des produits secs achetés en commandes groupées qui représentent 21 euros/mois et par personne
    ➤ Loyer : 174 euros par mois et par personne
    ➤ Total des dépenses : 227 euros par mois et par personne.

    Ressourcerie :
    ➤ Chiffre d’affaire annuel de la ressourcerie : 143 000 euros
    Dépenses annuelles en :
    ➤ Carburant : 4000 euros
    ➤ Eau et gaz : 600 euros
    ➤ Chauffage : le local est essentiellement chauffé avec du bois de récupération. Quelques bons radiateurs en céramique font parfois l’appoint.
    ➤ Électricité : un projet de toiture photovoltaïque est en bonne voie.
    ➤ Ressources humaines : Nombre d’emplois créés : 6 (20 heures par semaine)
    ➤ Bénévolat : 60 heures par semaine pour les trois initiateurs + 100 heures données par d’autres contributeurs. Soit 160 heures par semaine.

    Village du Possible (association événementielle) :
    Budget
    ➤ Chiffre d’affaire annuel de l’association : 80.000 euros / an
    ➤ Ressources humaines : 7 personnes ont travaillé pour l’association dans l’année. Contrats très variables de un à plusieurs mois
    ➤ Bénévolat : 30 heures par semaine ensemble (3h pour 10 personnes en réunion et préparation) et 40h séparément. Soit 70h par semaine.
    Dépenses
    ➤ Énergie : aucune dépense ou presque car l’alimentation de la logistique festival est branchée sur un groupe électrogène à l’huile végétale et des panneaux solaire.
    ➤ Stockage : les locaux de la ressourcerie servent au rangement du matériel

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