L’école dans la nature : vers une révolution verte de l’éducation ?

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    Depuis les années cinquante, 3000 écoles maternelles en forêt ont vu le jour en Europe, avec un intérêt qui ne cesse de croître ces dernières années. Si l’Allemagne en compte 2000 et le Danemark en recense 700 sur son territoire, la France, elle, ne compte que quelques très rares établissements dont 3 ont ouvert depuis 2018. Dans leur ouvrage L’enfant dans la nature. Pour une révolution verte de l’éducation (Fayard, 2019), Moïna Fauchier-Delavigne et Matthieu Chéreau montrent tout l’intérêt pédagogique de ces initiatives. Rencontre avec la co-autrice.

     

    Dans votre livre vous citez en ouverture Alexandre Dumas qui écrivait déjà en 1878 : « Si j’étais roi de France, il n’entrerait pas un enfant dans les villes avant qu’il eût l’âge de douze ans. […] Jusque-là, ils vivraient à l’air, au soleil, dans les champs, dans les bois, en compagnie de chiens et de chevaux, face à face avec la nature qui fortifie le corps des enfants, prête l’intelligence à leur cœur, poétise leur esprit, et leur donne de toutes choses une curiosité plus utile à l’éducation que toutes les grammaire du monde. » Pourquoi est-il si important d’éduquer les enfants dans la nature ?

    Parce que nous avons tous besoin d’un contact direct avec la nature et les éléments pour grandir, comprendre le monde, développer notre intelligence, s’épanouir et cultiver notre émerveillement face à la beauté. Les enfants coupés de la nature peuvent passer à côté de tout cela. Par exemple, un enfant de 10 ans qui n’ose pas mettre ses pieds nus sur l’herbe parce qu’il trouve cela sale, se coupe d’une partie de son corps, de ses sensations et d’une partie de son intelligence car tout est lié. Les sens font sens.

     

    Quels sont les avantages des écoles dans la nature pour l’apprentissage ?

    Des études menées par Marc Berman, professeur de psychologie de l’université de Chicago ont montré qu’une marche de 50 minutes dans un espace vert par exemple augmente de 20 % les capacités de mémoire immédiate par rapport à une marche urbaine. D’autres études, comme celle de Rachel et Stephen Kaplan, chercheurs en psychologie environnementale à l’université du Michigan ont également observé une augmentation des capacités d’attention et de concentration. Dans un environnement naturel, l’enfant est plus apaisé et l’attention dirigée est rechargée plus rapidement. Depuis plus de quatre décennies, des études se sont accumulées sur les bienfaits de la nature sur les adultes et les enfants, qui ne se limitent pas aux compétences cognitives. Que la nature offre un environnement bénéfique pour jouer et apprendre ne fait plus débat. Pourtant, les enfants vivent maintenant à l’intérieur et l’école se passe toujours quasi exclusivement dedans.

    L’avantage le plus évident selon les enseignants en forêt au Danemark est que l’école en forêt permet de se libérer des contraintes d’espaces et de bruit qu’enfants et adultes subissent dans une salle de classe fermée. Ils ne sont plus obligés de dire à un enfant “tait-toi tu fais trop de bruit dans la classe, reste assis, arrête de courir…“, etc. On a des espaces avec moins de tensions, et les enjeux de territoires posent moins de problèmes, contrairement à des espaces clos où les enfants se disputent des espaces de jeux. Dans un espace ouvert, l’enfant qui bouge et qui cri ne sera pas forcément vu comme un enfant à problème et l’enseignant ne sera pas obligé de rappeler constamment les règles.

    Se dire qu’un enfant de 3 ans doit rester à l’école toute la journée enfermé, la plupart du temps assis, avec des contraintes d’espaces et de bruit : c’est à l’inverse de ce dont un enfant a besoin. D’ailleurs la chercheuse québécoise, Catherine L’Ecuyer fait remarquer dans son livre « Cultiver l’émerveillement » (Eyrolles, 2019) à quel point il est absurde que jusqu’à ses 1 an on apprend à l’enfant à parler et à marcher, pour ensuite lui demander de s’asseoir et de ne plus faire de bruit !

    Les écoles dans la nature permettent donc aux enfants de profiter de l’espace, de jouer plus librement, de grimper aux arbres, d’aller au bout de leurs projets et de leur imaginaire. Car le jeu libre est un élément essentiel pour le développement de l’enfant, il est même inscrit au programme scolaire des maternelles en France depuis 2015, mais il n’est pas encore mis en valeur. Plusieurs circulaires publiées depuis vont même à l’encontre de cette idée.

     

    Dans votre livre vous décrivez plusieurs modèles d’écoles maternelles essentiellement et primaires. Comment pourrait-on définir une classe dans la nature ?

    Il n’y a pas de règles strictes, pas de norme. Les écoles en forêt sont avant tout une pédagogie et une façon d’éduquer les enfants, dehors, en laissant une place importante au jeu libre. Cela ne correspond pas à un seul modèle de structure. Elles peuvent être à temps plein ou offrir un temps en forêt tous les matins. En Angleterre, on utilise ce terme pour les activités en forêt, que ce soit à l’école ou en péri-scolaire. X

    Dans une classe en nature, en maternelle par exemple, les enfants vont ramasser du bois, petit et gros, pour faire des cabanes, vont scruter les plantes et les insectes, découvrir des oiseaux, imaginer que le tronc d’arbre sur lequel ils s’installent à 5 sur un bateau, s’installer à l’écart pour avoir un peu de calme, montrer à leur enseignant le pissenlit qu’ils ont cueilli, etc.

    Selon Niels Ejbye-Ernst un chercheur en sciences de l’éducation qui a comptabilisé les écoles en forêt au Danemark et les a étudié, il y avait plus de 700 écoles en 2018 dans lesquelles les enfants passent de 3 à 5 heures en nature par jour. Elles représentaient 10 % des structures en 2003 et 20 % quinze ans plus tard.

    Selon de nombreuses études, l’école dans la forêt améliore la concentration des enfants.

     

    Pourquoi les classes sont-elles aussi peu ouvertes vers l’extérieur en France ?

    Historiquement, les écoles françaises se sont construites sur le modèle comme les monastères, fermés entre quatre murs. Ensuite, avec l’école républicaine de Jules Ferry, on a séparé les enfants des familles, des religions ; on a créé une école laïque pour former des petits républicains. Cela a contribué à couper les enfants du monde extérieur en général, et de la nature en particulier. Nous restons dans un schéma qui rappelle l’analyse du philosophe Michel Foucault “éduquer c’est enfermer“. Et avec l’héritage de la philosophie des Lumières, où la raison passe avant tout, les modes d’apprentissages en France privilégient la théorie, la pensée immobile. On pense, assis à l’intérieur. L’esprit cartésien a gagné face Spinoza. C’est le règne du « Je pense donc je suis ». A contrario, l’auteur et animateur nature Louis Espinassous, fervent défenseur de la pensée associée à un corps en action et de l’éducation buissonnière, aime citer Nietzsche, pour qui aucune pensée puissante ne pouvait venir d’un cul de plomb. Il y a un décalage culturel très fort entre nous et les pays nordiques, où l’on considère que la personne humaine grandit autant dans sa corporalité que dans la gymnastique intellectuelle. L’homme est pensé comme faisant partie de la nature, des forêts alors que nous sommes construits sur une opposition de la culture face à la nature. On se sépare de la nature et du mouvement. En France, nous sommes encore loin d’une approche holistique de l’éducation. Le corps, la créativité et les émotions ont encore très peu de place à l’école.

     

    Quels sont les principaux obstacles pour remettre de la nature dans les écoles en France ?

    Les obstacles sont avant tout des questions de normes. Elles sont très contraignantes et il est compliqué d’obtenir les autorisations nécessaires pour ouvrir une école en forêt. Mais c’est faisable. Une école privée hors contrat a été créée en 2018 à Chantemerle près d’Angoulême, et deux autres depuis la rentrée 2019, à Cluny et à Annecy. Dans d’autres écoles alternatives, comme celle de Caminando et du Colibris aux Amanins dans la Drôme, la pédagogie par la nature a aussi une place importante.

    De nombreux enseignants se restreignent aussi par crainte que cela soit interdit, parce que cette approche n’est pas encore reconnue officiellement en France. Certains craignent aussi la réaction des parents d’élèves. D’où l’importance de faire connaître ce qu’il est possible de faire, dans le privé mais aussi dans le public.

     

    Qu’est-ce qui peut être fait pour que les écoles françaises tendent plus vers la nature ?

    Sortir plus régulièrement dans la nature près de l’école. Même en ville c’est possible. Une enseignante dans les Deux-Sèvres a commencé à faire classe dehors chaque semaine il y a quasi 10 ans. Depuis, elle a formé des dizaines d’enseignants qui se sont lancés à leur tour. Et le mouvement prend de l’ampleur. Un enseignant de maternelle à Paris a lui commencé cette année à emmener ses élèves une matinée par semaine au parc de la Villette, situé à deux stations de tramway de l’école. Ils font classe dehors. Ils profitent d’un espace plus vaste et d’un environnement plus riche et varié pour jouer. Les enfants la première semaine ont ramassé des feuilles, ont joué ensemble, ont grimpé à un arbre penché et beaucoup discuté… Presque toutes les écoles pourraient déjà faire cela.

    Comme cela n’est pas encore au programme, c’est pour l’instant uniquement des initiatives individuelles d’enseignants, qui doivent prouver à chaque fois l’intérêt de la démarche. Faire classe dehors nécessite une approche différente et des outils pédagogiques adaptés, il n’existe quasi aucune formation en France, à l’exception de formations ponctuelles et un Mooc pour accompagner les enseignants, comme celui proposés par une ancienne institutrice, Emilie Lagoeyte avec Eveil et Nature 

    Même là où la nature est peu présente et organiser une classe dehors semble impossible, il est toujours possible de réaménager les cours d’écoles, même en pleine ville. En Belgique, des cours ont été rénovées pour en faire des espaces plus naturels, à Paris les cours « Oasis » font leur apparition. Les enseignants concernés confirment les résultats des recherches : un espace de jeu moins artificialisé et plus naturel favorise l’apaisement du climat scolaire et les comportements agressifs diminuent. A l’inverse, une cour comme il existe en général en France, plate et vide est un lieu bruyant et ennuyeux, générant plus de fatigue et de stress pour les adultes comme pour les enfants. Dans les cours modifiées, les enfants disposent de lieux où se cacher, des endroits à explorer, et plus de matériaux à utiliser comme supports de jeu et de créativité. Ces cours peuvent aussi devenir des endroits intéressants pour faire classe dehors.

    Cours « Oasis » réaménagée au sein de l’école primaire Riblette à Paris. ©Ville de Paris – Laurent Bourgogne

    Cela ne représente-t-il pas plus de risques pour les enfants ?

    Une cours d’école ne peut pas être pensée juste pour rassurer les adultes, elle devrait aussi être pensée en fonction des besoins de l’enfant. En maternelle par exemple, avec des petits arbustes d’1m de haut, les enfants peuvent explorer, se cacher, tout en permettant à l’adulte de plus d’1,50m de voir ce qu’il se passe. C’est une autre façon de surveiller la cours d’école.

    L’objectif de risque 0 est illusoire et coupe toutes les possibilités. Or si l’on prend en compte tous les risques, dans les écoles de la nature il existe moins de dangers qu’ailleurs, puisque dans une cours française traditionnelle, le goudron peut blesser, le plastique ça glisse et les comportements agressifs sont plus nombreux… Par exemple, en 25 ans d’existence, l’école maternelle en forêt « Skoven », que j’ai visitée au Danemark, n’a jamais connu d’accident grave. Pourtant les enfants grimpent aux arbres et utilisent des scies et des couteaux quasi tous les jours. Mais le risque y est mesuré par les adultes et les enfants accompagnés dans leur apprentissage. Ils apprennent à gérer le risque.

    En France, notre façon d’appréhender le danger est seulement par rapport à l’accident grave et non par rapport au bénéfice du risque et aux autres risques. Or dans une école urbaine située près des voies passantes, on expose aussi les enfants à la pollution de l’air. En Ile-de-France, 85% des établissements scolaires sont exposés à des taux de particules fines au-dessus des seuils de l’OMS. Ce risque avéré pour la santé devrait être pris en compte plus sérieusement. Supprimer les balançoires des squares ou les bacs à sable des maternelles est plus simple que lutter contre la pollution mais je ne suis pas convaincue de l’intérêt de ces mesures. Il faut repenser notre façon de protéger les enfants.

     

    Quelle est la place de l’écologie dans cette approche ?

    C’est une question importante, parce qu’on ne peut pas se contenter de la théorie. Les enfants qui passent la journée dans la nature ou en forêt, ont finalement une conscience environnementale plus développée. La nature leur parle parce qu’ils vivent dedans, ils la connaissent, et surtout ils sentent qu’ils en font partie. Ils sauront en prendre soin. Cela est bien plus efficace et moins déprimant que d’apprendre uniquement des éco-gestes aux enfants et vouloir leur faire prendre conscience, trop tôt, des catastrophes écologiques.

    Nous avons écrit ce livre pour rendre grand public les études qui ont été menées ces dernières décennies et qui montrent à quel point le contact régulier avec la nature est bénéfique pour la santé physique, psychique et pour les capacités cognitives. Nous voulions partager aussi les différentes manières d’offrir cet environnement riche aux enfants. La nature est le meilleur terrain de jeu pour les enfants et elle est aussi un formidable terrain pédagogique. On ne peut plus en priver les enfants. Surtout qu’il est possible de le faire de nombreuses manières différentes, pas uniquement en envoyant tous les enfants à temps plein en forêt. Ce besoin de nature doit être pris en compte par les enseignants, l’éducation nationale, les responsables de petites enfances, mais aussi par le ministère de la santé, car c’est une question de santé publique.

    Propos recueillis par Sabah Rahmani


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