Les histoires, Emmanuel Carrère et la religion

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    Certes, il caracole en tête des ventes, il est encensé par la critique, mais force est de constater que le nouveau livre d’Emmanuel Carrère, Le Royaume, est passionnant. D’une part, parce qu’il revisite les premières heures de la religion chrétienne et la façon dont elle s’est répandue à travers le Moyen-Orient, l’Asie mineure et l’Europe (et Dieu sait que nous avons bien besoin de revisiter cette histoire pour comprendre nombre d’événements que nous traversons actuellement) et, de l’autre, parce que c’est justement un écrivain (et pas un historien, un chercheur, un essayiste) qui s’y plonge.

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    Ce qui m’a frappé à la lecture de l’ouvrage c’est à nouveau (c’est un peu mon dada) la puissance des histoires. En parcourant l’ouvrage de Carrère, on mesure à quel point les premiers chrétiens (si on excepte les apôtres) se sont convertis sans la moindre preuve tangible, sans la moindre argumentation scientifique ou tout simplement vérifiable, mais en se laissant conter des histoires. En l’occurrence, celle d’un juif rebelle qui serait mort sur une croix et aurait ressuscité trois jours plus tard à des centaines, voire à des milliers de kilomètres de chez lui. Bien sûr, ils ont certainement été touchés par le charisme de celui qui les leur contait : en l’occurrence Paul (saint Paul pour les chrétiens), mais tout de même ! Il faut que cette histoire ait eu une puissance extraordinaire, pour que tant d’hommes et de femmes y adhèrent si spontanément, s’y projettent, s’en fasse les jaloux détenteurs.

    Carrère s’intéresse aussi à Luc, auteur d’un des quatre évangiles, dont il décortique la science : celle d’un écrivain, inventant des paraboles, mêlant son expérience, sa sensibilité, ses points de vue, aux récits qu’il avait pu recueillir auprès des contemporains de Jésus. Un écrivain qui, comme ses collègues évangélistes, a bâti une histoire qui traversera les siècles, malgré ses incohérences et ses invraisemblances. Et comme le souligne Carrère, des millions de personnes continuent à y adhérer, à se la raconter, à y vouer un véritable culte. Contre toute attente.

    les histoires religieuses
    L’incrédulité de saint Thomas, Il Caravaggio (1571 – 1610)

    Sans mettre le pied sur le terrain de la foi (qui est un terrain glissant !), il est de notoriété publique (et des milliers de pages de chercheurs l’ont montré) que la plupart des textes religieux ont été construits, eux aussi comme des histoires ou à partir d’histoires : mythologies réinterprétées à la sauce des religions naissantes (la Bible est pleine de légendes égyptiennes ou moyen-orientales qui ont été réadaptées, le Coran a repris bon nombre de légendes de la Bible, etc.), textes issus d’époques et d’auteurs divers mis bout à bout sans grande cohérence, réinterprétations de textes ou création de nouveaux dogmes selon les mœurs ou les volontés politiques de l’époque (le dogme de l’Immaculée Conception – la Vierge Marie – inventé au XIXe siècle alors qu’aucun texte évangélique n’en fait mention, le voile islamique décrété comme devant être porté par les femmes alors qu’il s’agissait originellement d’un rideau interdisant aux hommes qui les pourchassaient l’entrée de leurs maisons), j’en passe et des meilleures. Il s’agit donc, à chaque fois de récits, de fictions, tout comme l’étaient les mythologies grecques, romaines, celtiques (ce qui ne les empêche d’ailleurs pas de véhiculer des principes moraux, philosophiques ou spirituels)…

    Tout cela serait sans gravité si des groupes d’êtres humains n’avaient élevé ces histoires au rang de vérités révélées, sacrées, justifiant oppressions et barbaries qui n’ont généralement plus grand chose à voir avec le fond du message porté par leurs religions. Si, prenant une saine distance avec les contes, ils s’étaient contentés d’en user pour approfondir leurs qualités humaines. Mais l’histoire s’est malheureusement saisie de ces histoires à d’autres desseins…

    Évidemment, tout ceci est connu, archi-connu et je ne fais là qu’enfoncer des portes ouvertes.
    Et pourtant.
    En 2014, l’État islamique (que les Américains et les Occidentaux ont très certainement décidé de combattre pour le contrôle du pétrole plus que pour leur idéologie) attire des centaines de jeunes gens sous la bannière d’une histoire musulmane à nouveau réinterprétée à la sauce guerrière.
    En 2014, des millions de chrétiens créationnistes (dont bon nombre d’Américains) croient sincèrement que le monde (l’univers, la Terre, l’être humain) a littéralement été créé comme cela est décrit dans la Bible. Et qu’ils seront les seuls à être sauvés à la fin des temps. L’une d’elles s’est même présentée à la vice-présidence des États-Unis.
    En 2014 des juifs intégristes des colonies se sentent totalement légitimes d’occuper la terre d’un autre peuple (et sont prêts à en découdre) parce qu’elle leur aurait été donnée par Dieu (Dieu sait quel Dieu…).

    Et cette incroyable tendance à la crédulité, à la superstition ne se limite pas à la religion. Notre époque regorge de ses dogmes modernes : la croissance économique (que l’on invoque comme un mantra), le libre marché (qui est LA seule voie possible), le consumérisme…

    Oui décidément, les histoires ont un empire sur nous que rien ne saurait contrecarrer. Alors, courrez vite vous procurer Le Royaume, vous ne serez pas déçus.

     

    Par Cyril Dion

    1 COMMENTAIRE

    1. « L’homme ne pourra jamais cesser de rêver. Le rêve est la nourriture de l’âme comme les aliments sont la nourriture du corps. »
      de Paulo Coelho
      Extrait de Le Pèlerin de Compostelle

      -les histoires ont un impact sur notre cerveau:

      http://www.diplomatie-digitale.com/featured/communication/storytelling-de-limpact-des-histoires-sur-notre-cerveau/

      tout le monde à sa petite histoire,les dérives argumentées dans ce texte sont malheureusement une réalité.
      mais la cause de tout cela provient d’une mauvaise intention.car l’intention est la base de tout acte.
      l’ignorance est aussi une cause de mauvaise compréhension,mauvaise interprétation qui engendre plusieurs maux.

      – il y a un point que je voulais soulever depuis un moment,en France l’écologie est cadenassée,la spiritual ecology est invisible mais pourtant existante.
      et en lisant votre texte je vois que nous avons besoin de dialoguer.

      -regardez ceci en France c’est inimaginable:

      https://www.facebook.com/video.php?v=10152361571708359&set=vb.17621258358&type=2&theater

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