Les miracles de la permaculture

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    ,La productivité insoupçonnée de la terre

    permaculture

    Faites le test autour de vous. Affirmez haut et fort que nous pourrions nous passer des engrais et des pesticides. Ajoutez que l’utilisation de l’espace agricole en France pourrait être optimisée et que les monocultures défigurent une grande partie de nos paysages. Prétendez que nous pourrions produire beaucoup plus, sur de plus petites surfaces, en recréant des emplois en masse. Arguez que les fermes du XXIe siècle seront non seulement productives, mais magnifiquement belles et que les paysans qui y travailleront gagneront peut être mieux leur vie que les agriculteurs d’aujourd’hui. Terminez en brossant le tableau de villes modernes, culturelles et agricoles.

    Je ne donne pas cher de votre peau.

    Et pourtant, ce que l’agroécologie et la permaculture – entre autres – sont en train d’apporter à la réflexion agronomique démontre, s’il en était encore besoin, à quel point cette vision est fondée. L’expérience que Charles et Perrine Hervé-Gruyer conduisent, dans leur petite ferme du Bec Hellouin, est, à ce titre, particulièrement intéressante.

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    Recréer la diversité et l’interdépendance des écosystèmes

    Depuis quatre ans, ils ont choisi d’appliquer les principes de la permaculture à leur pratique agricole. La perma-culture – entendez cultures permanentes – est « un système de conception des installations humaines qui s’inspire de la nature », selon les mots de Charles. Elle va chercher à recréer la grande diversité et l’interdépendance qui existent dans les écosystèmes. Chaque élément va profiter aux autres et se nourrir de l’ensemble. C’est un modèle en boucle, qui ne produit pas de déchets. Les applications de la permaculture sont multiples : villes – notamment les villes en transition –, entreprises, économie, énergie…

    Appliqués à l’agriculture, ces principes utilisent à la fois les meilleures pratiques élaborées par les paysans depuis des siècles, sur toute la planète – cultures sur buttes et à étages, compostage, place de l’arbre, complémentarités entre les variétés, traction animale – et tout ce que les sciences du vivant nous ont appris sur le fonctionnement de la nature.

    L’objectif est de reproduire le fonctionnement extraordinaire des écosystèmes naturels qui, depuis des millions d’années, fonctionnent sans pétrole, sans travail du sol, sans mécanisation et produisent une abondance de vie dans des milieux parfois pauvres en nutriments – forêts tropicales, récifs coralliens… En créant une relation très étroite entre le biotope, les plantes, les insectes, les animaux, la permaculture va recréer de la profusion là où régnait la pénurie.

    Comme le dit Charles, « les résultats de la permaculture nous permettent d’imaginer l’avenir des sociétés humaines comme une abondance de biens essentiels – mais pas de gadgets –, qui exclurait le gaspillage ».

    Quels résultats peut-on observer sur l’exploitation de Charles et Perrine ?

    Charles commence par une mise en garde : « C’est difficile à dire, car nous n’avons pas encore fait d’étude. Lancer des chiffres comme ça, qui n’ont pas été validés, ne serait pas très sérieux. Dix pour cent des gens vont trouver que c’est formidable. Mais quatre-vingt-dix pour cent risquent de rejeter en bloc ce que nous avançons. »

    La première référence, encore assez imprécise, que Charles et Perrine ont pu constater, est que sur les six premiers mois de l’année 2011, ils ont pu alimenter une AMAP de quatre-vingts paniers, deux boutiques bio, un restaurant sur la fin de la période, nourrir leur famille de six personnes ainsi que l’ensemble de leurs stagiaires (soit dix personnes en permanence pendant six mois), avec 1 500 m2 : l’île jardin (300 m2), la serre (400 m2) et le jardin mandala (800 m2). Deux personnes et demie en moyenne ont travaillé à plein temps sur les parcelles.

    « Nous ne pourrons pas faire cela toute l’année, concède Charles. D’autres parcelles sont plantées avec nos légumes d’hiver, mais nous entrevoyons qu’en optimisant notre travail nous arriverions à une productivité beaucoup plus forte que l’approche classique. » Ce qui est plein de modestie lorsque l’on sait que la majorité des AMAP fonctionnent sur deux à quatre hectares pour une moyenne d’une centaine de paniers.

    Paris autosuffisante en légumes au XIXe siècle

    Parmi les influences de Charles et Perrine, on trouve notamment les travaux d’Eliot Coleman, créateur, entre autres, d’un semoir manuel multirangs de précision, et ceux de John Jeavons montrant que la productivité des cultures sur buttes peut être jusqu’à dix fois supérieure à l’agriculture biologique mécanisée. Ils s’inspirent également des pratiques des maraîchers de Paris qui, avec six cents hectares de cultures, avaient rendu Paris (environ 1,8 million d’habitants) autosuffisante en légumes pendant toute la seconde moitié du XIXe siècle. Les parcelles cultivées couvraient en moyenne 4 000 m2 avec un travailleur pour 1 000 m2 et jusqu’à huit rotations de légumes par an, contre un travailleur pour plusieurs hectares actuellement et des rotations bien moins fréquentes.

    Aujourd’hui, ils engagent une étude de trois ans avec l’INRA et AgroParisTech qui permettra de donner un réel référentiel technico-économique de la productivité et de la rentabilité de leurs pratiques. L’hypothèse de départ est qu’il serait possible de créer un emploi pour 1 000 m2 cultivés. L’émergence d’une micro-agriculture naturellement très intensive faciliterait l’essor de la production vivrière dans et autour des villes, là où l’accès au foncier est le principal facteur limitant. Mais Charles n’en fait pas un motif d’autosatisfaction. « J’insiste sur le fait que nous ne nous positionnons pas contre nos collègues et ne cherchons pas à montrer que nous faisons mieux. Nous explorons une manière différente de faire. »

    Une révolution agricole

    La révolution que suggère cette expérience est multiple.

    Premièrement, elle n’utilise quasiment aucun pétrole, à l’exception de ce qui a été nécessaire à la fabrication des outils manuels et des serres, ou de manière très ponctuelle, un petit motoculteur lors de la création des buttes par exemple.

    Deuxièmement, elle remet profondément en question notre idée de la taille que devrait avoir une exploitation. Aujourd’hui, pour obtenir le droit d’être maraîcher dans l’Eure – où se trouve la ferme du Bec Hellouin –, il faut au minimum justifier d’une surface d’une demie SMI (Surface Minimum d’Installation), soit trois hectares et demi. Les syndicats, les banques, les conseillers techniques, les revues, les salons poussent d’un même élan le jeune agriculteur à grossir, à s’étendre, à se mécaniser pour supposément prospérer. Avec les conséquences que l’on connaît : endettement, fermes toujours plus grandes pour toujours moins de paysans, obligation d’industrialiser les pratiques…

    Troisièmement, elle suggère une réflexion sur le rôle à donner à la main de l’humain dans la production vivrière. Un grand nombre d’études effectuées dans le monde entier montrent que plus une ferme est petite, plus elle est productive par unité de surface (voir en particulier le rapport récent de la Banque mondiale sur la petite agriculture familiale et paysanne). Ces analyses mettent en évidence la corrélation entre le soin apporté aux cultures et le niveau de productivité atteint.

    Selon ce principe, nous pourrions recréer des centaines de milliers d’emplois dans l’agriculture, qui est probablement le plus grand vivier, oublié ou négligé par les politiques de tous bords.

    Enfin elle laisse entrevoir que la productivité naturelle de la terre est encore mal connue. Son formidable potentiel ne demande qu’à être exploré.

    En quoi est-ce une bonne nouvelle ?

    D’abord parce que quatre-vingt-dix pour cent des fermes dans le monde font moins de deux hectares. Cultivées de façon optimale, elles permettraient de nourrir une population bien plus grande qu’aujourd’hui – comme l’avance l’étude publiée par l’ONU sur l’agroécologie.

    Ensuite parce que la surface que nous pourrions consacrer à l’agriculture et à l’élevage en France serait sans doute moindre. Cela laisserait la place à d’autres cultures qui s’avéreront sans doute indispensables, comme celle de forêts nourricières produisant des fruits à coque nutritifs et excellents pour la santé ou celle de la biomasse comme énergie renouvelable et comme source de fabrication d’éco-matériaux pour la construction écologique, tout en restaurant les paysages et en stockant du carbone.

    Enfin, parce que l’espace dans et autour de nos villes, optimisé et amoureusement jardiné, pourrait participer activement à nourrir les personnes qui y vivent et à magnifier le paysage.

    Une autre vision de l’agriculture.

     

    Par Cyril Dion

    Photos : Fanny Dion


    Extrait du dossier de Kaizen 1.

     


    Pour passer à l’acte, consulter les formations à la permaculture et à l’agroécologie sur le site des Colibris.

    16 Commentaires

    1. Cette ferme présente un déficit chronique depuis sa création, il y a bien plus de surfaces cultivées et de main d’oeuvre non salarié que ce qui est dit dans cet article. Après y avoir passé 9 semaines de stage dans le cadre de mon BPREA, j’ai le sentiment que la permaculture telle que pratiquée au Bec-Hellouin relève plus du miroir aux alouettes que d’un exemple à suivre ou une « nouvelle voie » pour l’agriculture.

    2. salut je suis certifié en Permaculture par l’upp de france et j’ai suivie mon cours d’initiation plus le CCP par Steve Read fondateur de l’upp lors de son passage au Benin en 2011 et donc je crois en la permaculture et a cette methose de conservation des sols surtout ici en region tropical en particulier au burkina faso ou je vie je compte mettre en place cette année un chantier pour mettre en place une ferme et un centre de formation en permaculture .j’organise avec le soutien de l’upp un stage pour un mois pour la mise en place de la ferme ici au burkina en novembre prochain avec des benevoles qui viendrons de france pour nous aidez merci de nous contacter si vous etez interessé.mon mail itinerance24@gmail.com

    3. Sinon, il y a le rapport d’Olivier de Schutter… Daniel Morgan, merci d’aiguillonner ma vigilance. Toutefois, il me semble que le modèle agricole actuel est aussi en déroute, compte tenu des externalités. Si le modèle économique de bec hellouin est mauvais, ça doit pouvoir s’arranger. Je ne suis pas aussi optimiste pour le conventionnel. Cordialement.

    4. Il y a en effet des erreurs de chiffres dans cet article. Par exemple, 600ha pour nourrir 1800000 parisiens en légumes, ça fait du 3,33m² par personne, ça couvre même pas les pommes de terre…
      C’est dommage, car l’expérience est intéressante, mais il faut en tirer les vraies conclusions et pas partir sur des faits enjolivés, au risque de décrédibiliser les réels bienfaits de la permaculture.
      Les chiffres donnés sur le bec sont irréalistes.

    5. Les miracles n’existent pas, c’est vrai.
      Nous sommes maraîchers bios depuis 7 ans, et sans avoir pris le temps d’aller sur la ferme du Bec Hellouin, nous avons toujours gardé un oeil critique sur ce lieu : sans doute une bonne vitrine mais quand est il de la transposition de ces méthode sur une « vraie » exploitation (c’est à dire qui ne dépend pas de la formation ni des bénévoles pour s’en sortir mais de la seule production de nourriture) ?
      Je pense cependant qu’il y a des choses intéressantes à y prendre.
      Nous mêmes avons changé notre méthode de production depuis la fin 2012, pour cultiver en buttes permanentes sans travail du sol (avant, travail + mécanisé avec un petit élevage de porcs en plein air que nous déplacions sur les parcelles à la fin des récoltes)
      Si nous rencontrons encore des difficultés dans la mise en place de ce système, et que nous avons encore beaucoup de questionnement, il ne fait aucun doute que nous pouvons améliorer nos rendements et diminuer nos charges avec cette manière de cultiver qui s’inspire de la permaculture.
      Après, nous ne crions pas pour autant au miracle.
      A chacun de définir une manière qui lui est cohérente de travailler.
      Nous concernons, nous sommes en passe de trouver la notre.

    6. S’il est vrai que les surfaces cultivées au sens agricole et la main d’oeuvre mentionnées dans l’article sont différents de la réalité observée (surfaces en cours de mise en culture, volontaires et stagiaires…), cela ne remet pas en cause la pédagogie et les questionnements que permettent le lieu.
      Si les 1.000m2 sont une hypothèse selon laquelle cela permettrait de faire travailler un paysan, elle reste donc à tester, calculer et démontrer, ce que la ferme du Bec Hellouin cherche à effectuer, en plus des cultures et des mises en cultures, des accueils de stages et stagiaires, etc.
      En tant que ferme/écocentre, elle ne se destine nécessairement pas que à effectuer de la production au sens de l’exploitation agricole…

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