Les vertus insoupçonnées des cheveux recyclés

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    Fertilisant, absorbeur d’hydrocarbures, cicatrisant… Les cheveux présentent de multiples qualités. Pourtant, ils sont jetés par tonnes chaque année dans les salons de coiffure. Face à ce constat, le recyclage se met peu à peu en place chez les professionnels de la mèche.

     

    Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme. La célèbre maxime du chimiste Lavoisier prend racine chez les coiffeurs depuis quelques années. Ce que l’on transforme ? Les cheveux. En 2015, Thierry Gras, professionnel à son compte dans le Var, fonde les « Coiffeurs justes », une association qui collecte les cheveux coupés dans les salons pour en faire des boudins absorbant les hydrocarbures dans les mers et les océans. L’idée lui trottait dans la tête depuis son passage en école de coiffure. Il y apprend la qualité lipophile du cheveu, c’est-à-dire absorbante du gras, et son rôle méconnu dans la maîtrise de la marée noire du naufrage de l’Amoco Cadiz en Bretagne, en 1978. En tout, les cheveux ont permis d’éponger 2 000 tonnes d’hydrocarbures lors de cette catastrophe pétrolière qui a marqué les esprits. Car un kilogramme de cheveux peut absorber jusqu’à huit kilogrammes d’hydrocarbures ! Pourtant nos mèches brunes, blondes ou rousses, représentent 50% des déchets des coiffeurs.

    « Qu’est-ce que vous faites de tous ces cheveux ? » Avant 2015, face à cette question récurrente des clients, Thierry Gras montrait avec gêne la poubelle. Aujourd’hui, avec son association « Coiffeurs justes », le professionnel originaire du sud peut se targuer d’avoir collecté 110 tonnes de cheveux, et produit 1 500 boudins absorbeurs d’hydrocarbures.

    Un boudin absorbeur d’hydrocarbures fabriqué à partir de cheveux par l’association ©DR Coiffeurs Justes.

    Concrètement, comment ça se passe ? Un salon peut adhérer annuellement à l’association pour la petite somme de 25 euros, et commander des sacs à un euro, contenant environ deux kilogrammes de cheveux, ce qui représente en moyenne un mois de coupes.

    A ce jour, tous les cheveux sont expédiés dans le Var, où ils sont confiés à des travailleurs en insertion par l’activité économique (IAE). Transformés en boudins à partir de bas, et réutilisables six à huit fois, ils sont actuellement testés au port de Cavalaire-sur-Mer (Var), afin d’absorber les hydrocarbures présents dans l’eau. Des boudins à placer en fond de calle des bateaux, pour extraire les résidus d’huile et de carburant et éviter les fuites en mer, devraient être commercialisés à partir de juin 2021. De l’argent qui permettrait à l’association, qui compte aujourd’hui 4 800 salons adhérents, de prendre en charge les frais d’envoi de sacs.

    Car petit bémol, l’expédition est pour l’instant aux frais des professionnels. Magalie, sensibilisée à l’environnement et adhérente depuis l’année dernière, reconnaît que cela freine son engagement. Coiffeuse à domicile en Ille-et-Vilaine, elle ne réclame pas de participation financière à ses clients, proposée par les « Coiffeurs justes » qui envoient une tirelire éco-participative avec les sacs. Thierry Gras est bien conscient du problème et souhaite mettre en place des points relais à proximité des grandes villes et éventuellement un service de collecte avec la Poste par la suite.

    « Mon but, c’est que ça ne coûte plus rien aux coiffeurs », tient à souligner Thierry Gras, tout en mettant en évidence que le concept permet aussi aux professionnels d’attirer de nouveaux clients.

    Des clients réceptifs

    Au Saint-Hélier, salon de coiffure installé dans le centre de Rennes, les clientes tendent une oreille attentive lorsque leur coiffeuse Bénédicte nous explique comment ils recyclent les cheveux depuis l’an dernier avec Capillum, une start-up de Clermont-Ferrand qui s’est lancée dans le recyclage de cheveux en 2019. Une cliente, installée dans un fauteuil en cuir, les boucles en papillotes pour une coloration, semble piquée de curiosité par la boîte en carton blanche et verte : « Mais qu’est-ce qu’ils en font ? »

    La coiffeuse résume rapidement le principe : ils dépolluent les mers et océans. « Ah j’en avais entendu parler à la télé, lors d’un reportage sur la marée noire à l’île Maurice », ajoute avec fierté une cinquantenaire aux cheveux courts et bruns. A l’été 2020, un navire japonais s’était échoué sur les côtes de l’île de l’Océan indien, et près de 1 000 tonnes de fioul s’étaient déversées dans la mer. Des ONG avaient rapidement appelé à la collecte de cheveux pour absorber les hydrocarbures présents dans l’eau. Le concept s’est alors popularisé auprès du grand public. Le Saint-Hélier a adhéré à Capillum en septembre 2020.

    Des sacs et des bacs sont à disposition des coiffeurs pour collecter les cheveux dans leur salon. ©A.Blancher

    Depuis, les coiffeuses ont rempli une dizaine de sacs, des sacs qu’elles peuvent déposer gratuitement dans une boîte à Vern-sur-Seiche, un petit avantage par rapport à « Coiffeurs justes ». « Les clients sont vraiment réceptifs à ce type d’initiative », se réjouit Bénédicte. La dame aux cheveux courts plaisante : « Ils ne vont pas avoir grand chose avec moi. » Après quelques coups de ciseau, et deux trois allers retours de sèche-cheveux, elle se retourne pour voir la masse accumulée sur le sol. Elle semble déçue. Odile, sa coiffeuse, tente de la rassurer : « Vous savez, avec ça, plus ça, et plus ça, on remplit les sacs ».

    Avec Capillum, les cheveux peuvent être récupérés directement en salon via une filiale de la Poste spécialisée dans la mobilité durable, Urby, ou déposés dans les points d’apport volontaire situés à proximité des grandes villes, selon l’offre choisie par le coiffeur (de zéro euro à 99 euros par an avec le service Urby). Ils sont ensuite transportés jusqu’à leur unité de recyclage située dans le Nord. 800 salons français sont actuellement adhérents. Fraîchement diplômés d’une école de commerce à Clermont-Ferrand, James Taylor et Clément Baldellou décident de lancer leur start-up en 2019 afin de « transformer des déchets en ressources de demain ».

    Soins de la peau et tapis de paillage

    Les cheveux récoltés sont d’abord utilisés pour la recherche médicale afin d’améliorer les soins de la peau, grâce aux vertus cicatrisantes de la kératine. Peu à peu, les deux Auvergnats s’intéressent à la fibre capillaire. Ils développent dans un premier temps des outils absorbant les hydrocarbures, tout comme les Coiffeurs Justes. Des outils actuellement testés pour être aux normes et utilisés lors de projets de dépollution en collaboration avec des associations environnementales, telles que Projet Rescue Ocean.

    Puis, ils découvrent la qualité isolante du cheveu, et décident de concevoir des tapis de paillage naturels, qui permettent de limiter l’évaporation de l’eau des sols et donc l’arrosage. « C’est une alternative aux tapis de paillage en plastique et autres types de paillages naturels. Car le cheveu est la seule fibre qui ne nécessite pas des litres d’eau pour pousser », fait remarquer James Taylor, co-fondateur de Capillum. Ils ont lancé une campagne de crowfunding sur Kisskissbankbank pour commercialiser leurs premiers tapis : en l’échange d’une contribution financière, les internautes reçoivent un coffret avec le produit phare. C’est un succès et l’entrepreneur s’en réjouit : « Ca permet de nous soutenir et d’avoir des premiers retours de jardiniers afin d’améliorer nos produits. »

    Un tapis de paillage conçu avec des cheveux par Capillum.

    Un remède de grand-mère 

    Thierry Gras, fondateur des Coiffeurs justes, aime à rappeler que les cheveux sont utilisés depuis des milliers d’années par l’Homme. Les Mongols fabriquaient du feutre à base de ces poils, l’Etat français les collectaient lors de la guerre de 1914-18 pour confectionner les vestes des Poilus dans les tranchées… « C’est dans l’inconscient collectif », affirme le coiffeur qui exerce à Saint-Zacharie dans le Var. Il le confesse : il n’a rien inventé, ce sont des « remèdes de grand-mère ». Des remèdes grâce auxquels il souhaiterait étendre les usages actuels des cheveux. Après les six cycles de dépollution des boudins de cheveux, il aimerait à terme réutiliser cette matière, qui peut servir d’engrais, de renforçateur de béton ou encore de répulsif des cervidés dans les cultures.

    « Mon rêve c’est que les 80 000 salons français ne jettent plus leurs cheveux »

    Espagne, Italie, Suisse, Canada… L’idée de dépolluer les mers et océans à partir de cheveux séduit de plus en en plus de pays. Mais Thierry Gras n’oublie pas son objectif de départ, favoriser une économie circulaire. « Pour l’instant, on centralise la transformation des cheveux dans le Var, mais par la suite, on voudrait que les boudins se fabriquent via des IAE dans toute la France », confie le coiffeur, avant de résumer son ambition : « Mon rêve, c’est que les 80 000 salons français ne jettent plus leurs cheveux. »

    De plus, la dépollution des eaux devrait se faire à une autre échelle pour Thierry Gras. C’est simple, si on capte les huiles en Savoie, elles ne se retrouveront pas dans la mer. Résoudre le problème à sa source. « Les gens n’en ont pas conscience, mais les plus grosses pollutions sont constantes, et se produisent au niveau des rivières et des fleuves. Une marée noire, c’est très visuel, mais aussi très ponctuel ».

    La solution proposée par les Coiffeurs Justes, ou encore par Capillum, semble à portée de mains. Au poil  en deux mots !


    Donner vos cheveux à des associations

    Il n’est pas nécessaire de se rendre chez le coiffeur pour faire le don de ses cheveux et participer à une bonne cause. Des associations telles que Solid’hair et Fake Hair Don’t Care récupèrent des cheveux naturels d’une longueur minimum (10 centimètres pour Fake Hair Don’t Care et 25 centimètres pour Solid’hair) et agissent en faveur de personnes atteintes du cancer notamment. Les mèches peuvent être envoyées directement à l’association de son choix, ou déposés chez un salon partenaire. Solid’hair vend les cheveux collectés à des perruquiers afin de financer à hauteur de 450 euros des prothèses capillaires aux personnes atteintes de cancer, ou de pelade universelle, qui n’en ont pas les moyens. Une aide supplémentaire peut désormais être accordée pour les produits paramédicaux. Les cheveux non utilisables (trop courts, abîmés, etc.) sont récupérés par Capillum. Fake Hair Don’t Care, association créée en 2016, confectionne quant à elle des perruques personnalisables pour les personnes atteintes du cancer à moindre coût, en collaboration avec une dizaine de perruquiers bénévoles. Les cheveux doivent être en bonne santé. Les mèches non utilisables sont données aux perruquiers bénévoles, qui travaillent pour la plupart dans le monde du spectacle et peuvent ainsi concevoir des barbes ou des sourcils. Certains cheveux sont aussi récupérés par des agriculteurs qui les utilisent dans leurs récoltes pour éloigner les lapins.

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