Le Bitcoin, quézaco ? Sur toutes les lèvres de l’économie alternative depuis l’envolée de son prix en novembre 2017, cette monnaie virtuelle reste encore floue pour de nombreux citoyens. En cause, les divergences entre pro et anti-Bitcoin qui viennent d’une opposition de principes économiques. Citoyenne, écologique, indépendante… Quels sont ses véritables avantages et ses limites ? Enquête.
Après les monnaies locales, la folie du Bitcoin envahit l’univers de l’économie alternative, tant chez les particuliers que dans les entreprises. On estime que 2 à 5 millions de personnes utilisent des bitcoins dans le monde. Créé en 2009 par un ou des anonymes, sous le pseudonyme de Satoshi Nakamoto, le Bitcoin n’appartient à personne et n’est contrôlé par aucune banque. C’est la première cryptomonnaie, monnaie électronique qui ne peut être utilisée que de façon virtuelle sur internet, à avoir été implémentée. Depuis, de nombreuses autres cryptomonnaies se sont développées, mais le Bitcoin représente toujours plus du tiers de toutes les monnaies électroniques existantes. Il s’échange directement entre les utilisateurs sur les marchés financiers grâce à des données informatiques cryptées, sans passer par le système bancaire conventionnel. Exit donc banques centrales (contrôlées par les Etats) et commerciales (privées), remplacées ici par la « blockchain », fonctionnant comme un gros livre de compte public et inaltérable dans lequel toutes les transactions sont répertoriées.
Grâce à cette indépendance, le Bitcoin offre une flexibilité qui permet de créer un compte seul ou à plusieurs en quelques minutes grâce à un système de deux clés électroniques, publique (sorte de RIB) et privée (pour se connecter à son compte et transférer ses bitcoins), qui agissent comme des signatures cryptées. En tant que particulier, on peut l’utiliser comme moyen de paiement sur internet auprès des 100.000 commerçants qui l’acceptent dans le monde, comme épargne ou encore comme placement spéculatif. La valeur du Bitcoin est passée de 16€ en 2013 à 11.000€ aujourd’hui, avec un pic à 16.736€ le 16 décembre 2017.
Le Bitcoin a ses défenseurs et ses adversaires, qui s’écharpent sur son utilité, son fonctionnement, jusqu’à sa définition. Cette opposition repose sur deux points clés de l’économie : les principes économiques qui définissent la notion même de monnaie, ainsi que la question du rôle de l’Etat.
Le Bitcoin est-il une véritable monnaie ?
Selon l’économiste écologique Bertrand Séné, le Bitcoin ne respecte pas deux des trois fonctions de la monnaie définies par Aristote : « Il s’achète avec des devises mais n’est pas convertible, il n’est pas un véritable intermédiaire dans les échanges car il faut pouvoir le vendre pour récupérer son argent en monnaies légales. » La monnaie doit aussi être une réserve de valeur, mais le Bitcoin n’est garanti par personne et son cours est fixé par le marché, celui-ci est donc instable, or « la stabilité est une des caractéristiques fondamentales de ce qui définit une monnaie », selon Bertrand Séné. « Le Bitcoin se rapproche donc plus d’une action que d’une monnaie », assène-t-il.
Maël Rolland, doctorant à l’HESS et chantre français du Bitcoin, estime au contraire que « ces concepts aristotéliciens figés doivent être dépassés pour accéder à une vision plus ouverte. » Selon lui, « la monnaie se définit aujourd’hui par son usage et selon cette définition, c’est lorsque que l’on n’a plus confiance en elle qu’elle perd de sa valeur. La valeur du Bitcoin réside dans la croyance future qu’il continuera à être utilisé et accepté », analyse-t-il.
Vient ensuite la question du rôle de l’Etat dans l’économie. « Le Bitcoin est proposé, là où l’euro est imposé et déconnecté de tout pouvoir citoyen », souligne Jacques Favier, historien de l’économie co-fondateur du Cercle du Coin – une association de promotion du Bitcoin – et co-auteur de Bitcoin, la monnaie acéphale (2017). Le principal avantage du Bitcoin selon ses défenseurs est d’être décentralisé et indépendant des politiques monétaires actuelles. Le système de la BCE est « pyramidal, hiérarchique et autoritaire », selon Jacques Favier, qui considère que « la vraie monnaie virtuelle c’est l’euro, car c’est la banque centrale qui décide de la valeur qu’elle lui donne. Si demain elle décide que le billet de 100€ n’est qu’un bout de papier, c’est un bout de papier. Le Bitcoin lui est d’une robustesse à toute épreuve car il ne dépend pas des décisions de tel ou tel État ou banque centrale. Les fluctuations économiques des pays ne l’atteignent pas. » À l’inverse, Bertrand Séné souligne l’importance des banques centrales : « Elles occupent le rôle primordial de réserve de change qui permet de faire face à un manque de liquidités et sont des structures qui permettent d’assurer la stabilité de l’Etat par l’impôt, de résoudre des problèmes collectifs, de servir l’intérêt général et de contrôler le commerce. » Un avis partagé par Jean-Louis Blancel, Président du Groupe Crédit Coopératif : « C’est très clairement, au moins officiellement, une responsabilité des banques centrales de définir un horizon de visibilité et de stabilité par la monnaie. Il ne faut pas sous-estimer le rôle de la monnaie dans l’organisation d’un environnement de stabilité dont ont grandement besoin les acteurs de la vie économique et sociale de terrain. Le process Bitcoin n’apporte aucun de ses éléments par son process, ni, à mon avis, aucune réponse satisfaisante sur ce terrain. » Ce à quoi les défenseurs du Bitcoin répondent qu’il n’a pas vocation à les remplacer sur un territoire donné et stable, mais à servir d’alternative dans d’autres espaces.
Le Bitcoin, monnaie citoyenne ou pas ?
« Il sert surtout à ceux qui n’ont pas une monnaie comparable à l’euro, c’est-à-dire solide et stable dans un environnement politique qui n’est pas dangereux pour les citoyens », explique Jacques Favier. « Dans des pays qui ont connu d’importantes secousses économiques récemment, comme au Venezuela, le Bitcoin devient une véritable alternative. Oui, il est volatile, mais lui, il l’est dans les deux sens. Il monte aussi », insiste-t-il. Même son de cloche du côté de Maël Rolland, qui voit dans le Bitcoin « un instrument monétaire à s’approprier selon ses besoins, qui permet aux populations des pays du Sud d’accéder à un marché d’échange. »
Si cet argument est très souvent relayé par les promoteurs du Bitcoin, il convient de rappeler que la plupart des bitcoins sont aujourd’hui détenus par des individus issus des pays industrialisés et sont majoritairement utilisés à des fins de spéculation et d’épargne. Selon Aaron Brown, un ancien du fonds AQR Capital Management, 1.000 personnes détiendraient 40% des bitcoins en circulation et seraient en mesure de manipuler son cours à leur guise. En effet, le Bitcoin n’étant pas soumis à régulation, ces détenteurs surnommés « whales » pourraient, en théorie, se concerter et décider de vendre ou d’acheter tous en même temps pour faire fluctuer à la baisse ou à la hausse la valeur de la cryptomonnaie.
Les avis concernant son caractère citoyen divergent même au sein des défenseurs du Bitcoin. « Le Bitcoin n’est pas une monnaie citoyenne, c’est une monnaie algorithmique, mathématique », affirme Jacques Favier. « Ce n’est pas une tentative politique, même s’il se trouve qu’il a créé une communauté de personnes qui partagent cet idéal », ajoute-t-il. Maël Rolland, lui, estime qu’il y avait « une dimension politique claire dès le départ, qui a grossi et évolué. » Du côté des détracteurs, une dimension politique claire se dégage également. Bertrand Séné y voit plutôt la tentative de création d’une bulle spéculative, estimant que l’instabilité inhérente au Bitcoin, le fait qu’il n’ait aucune valeur en soi et qu’il ne soit pas garanti, entraînera un krach inévitable dans lequel les petits détenteurs, peu au fait des principes du marché, perdront tout. « La seule vraie richesse que doit valoriser et soutenir la monnaie est le travail des hommes. Je suis très réservé face à un système où semble surtout valorisée la capacité à investir dans des fermes à ordinateurs et à prétendre créer de la richesse en comptant sur la spéculation sur les transactions d’un étalon qu’on a volontairement rendu rare », ajoute Jean-Louis Bancel. Bertrand Séné tire également la sonnette d’alarme concernant la crise financière de grande ampleur que pourrait engendrer un tel krach. Ainsi, si le marché du Bitcoin regroupe peu de personnes, les effets d’un tel krach seront limités. En revanche, si ce marché concerne plusieurs dizaines de millions de personnes et de grandes entreprises, un krach pourrait générer une réaction en chaîne qui ferait s’écrouler de larges pans de l’économie réelle.
Pour autant, on ne peut rien affirmer concernant l’intention qui a abouti à la création du Bitcoin, car son ou ses créateurs sont restés anonymes.
Et l’écologie dans tout ça ?
Les bitcoins sont créés grâce au « minage », le procédé qui assure la sécurisation de la blockchain. À noter que ce système de cryptage, réputé un des plus sûrs du monde, n’est effectif que pour l’échange des bitcoins entre eux, mais pas sur les plateformes où ils sont vendus contre des devises légales ou tout autre produit. Problème : le minage est extrêmement énergivore. On estime la consommation électrique annuelle du minage de Bitcoin à 40 terawatt, soit autant que la Hongrie. Il a déjà dépassé 136 pays en termes de consommation, dont l’Islande, le Danemark ou encore le Qatar. Pour se faire une idée plus précise, chaque transaction pourrait alimenter en électricité 25 foyers français pendant une journée entière, et il y a environ 300.000 transaction par jour !
« La valeur de Bitcoin c’est aussi cette dépense énergétique », précise Jacques Favier. « Le Bitcoin est cher parce qu’en créer, c’est-à-dire miner, a un fort coût énergétique. » En effet, chaque opération de minage, qui permet de crypter les transactions, est rémunérée par une création de bitcoins. C’est le seul moyen d’en produire. Pour expliciter son argumentation, le cofondateur du Cercle du Coin utilise une analogie avec l’extraction de l’or. Si demain, extraire de l’or devenait facile et gratuit, le cours de l’or s’effondrerait. Il en va de même du Bitcoin.
Et pourtant, « le Bitcoin est une monnaie écologique », assure Jacques Favier. « Elle colle à l’époque. Aujourd’hui nous n’avons plus besoin de cette expansion incroyable qui a été celle de l’Occident depuis Charlemagne. La preuve en est que l’on consomme une planète et demie par an ! Il faut dépasser cette idée que la monnaie est une expression du lien social entre les individus et que l’on peut en créer autant que l’on veut. Cela crée ce qu’on appelle une monnaie de dette. » Elle s’inscrit dans le système monétaire actuel, qui permet aux banques privées de créer de l’argent ex-nihilo sous forme d’une dette qui sera remboursée plus tard, et aux Etats de créer un surplus de monnaie par le système de la planche à billet. «C’est cette économie fondée sur le remboursement d’une dette et de ses intérêts qui a créé une exploitation insensée de la planète et mené à une véritable catastrophe écologique. Le Bitcoin, lui, nous incite à réfléchir au fait que les ressources terrestres sont limitées car c’est une monnaie déflationniste, c’est-à-dire en montant limité mais divisible », s’enthousiasme Jacques Favier. Autrement dit, le nombre maximum de bitcoins en circulation étant limité à 21 millions, mais chaque bitcoin pouvant être divisible jusqu’à la huitième décimale, cette cryptomonnaie nous apprend à partager une ressource limitée.
Bertrand Séné propose lui une autre voie dans Ecosophia (2017), son livre d’anticipation économique à 2050. Il estime que l’on se trompe sur la nature des banques, qui sont utiles dans les transactions ou la protection en cas d’escroquerie. Pour lui, ce sont les dynamiques de spéculation dans l’investissement de l’argent des ménages qui sont dangereuses. Il invite alors à réformer les banques plutôt que de passer par une monnaie virtuelle qui s’inscrit hors de tout cadre juridique international. Son idéal est de supprimer les marchés financiers et les taux d’intérêt pour faire des banques un service d’intérêt général qui seraient en concurrence mais gérées par des fonctionnaires licenciables.
Tous s’accordent en tout cas à dire que le Bitcoin est encore à l’état de prototype et est voué à évoluer. Peut-être son modèle pourra-t-il donner naissance à une connexion entre les monnaies locales d’un même pays par exemple…
Par Anissa Duport-Levanti
Pour en savoir plus
Conférences : « Monnaies Locales VS Cryptomonnaies » le 25 janvier à Lyon.
Très bon article, bien écrit (impartial) et qui fait un bon tour de la question. Bravo.
Je rappelle juste que J Favier a comme seul fait d’armes d’avoir commis un ouvrage sur les palais d’avignon. Pour le reste sur amazon et la Fnac, rien d’académique.
Présenter Favier comme un intellectuel qualifié sur l’histoire de la monnaie me parait un peu osé. J’y vois juste quelqu’un avec une visions bien particulière sur la monnaie et qui est loin de faire l’unanimité tant les avis diverge à la base sur ce qu’est une monnaie
Très instructif votre article. En lisant entre les lignes, j’ai pu réellement avoir une idée sur les véritables avantages et les limites de Bitcoin. De même, j’ai eu ma propre opinion sur la question de savoir si bitcoin est une vraie monnaie. Pour ce qui est de savoir si bitcoin est une bonne ou mauvaise idée ? Je dirais qu’investir dans cette monnaie numérique n’est pas une idée. J’ai fais un placement financier dans le bitcoin il y a de cela plusieurs années sur le site world-cryptos. Malgré le caractère volatil de cette devise digital, je suis satisfait de mes bénéfices.