Oléron : Objectif zéro déchet

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    Touristique, sauvage et discrète, Oléron tente de relever le défi du zéro déchet pour préserver son territoire insulaire. En multipliant les initiatives aux côtés de citoyens, d’associations et de professionnels, la communauté de communes montre l’exemple.

    Oscar, Diabolo et Été-Pigache ne sont pas des promeneurs comme les autres. Ils déambulent sur la plage au rythme nonchalant de leurs sabots qui s’enfoncent dans le sable. D’un pas sourd et gracieux, les trois ânes suivent le pas alerte de Nicolas Séguier. Depuis 2012, le fondateur de la société Les Ânes d’Oléron, sillonne avec ses compagnons plus de 70 kilomètres de plages sur l’île du golfe de Gascogne. Pas pour des balades touristiques, mais pour joindre l’utile à l’agréable en nettoyant la plage avec l’aide de bénévoles, le temps d’une saison, entre mai et septembre.  « Les gens viennent nous voir beaucoup plus facilement lorsqu’on se promène avec un âne plutôt qu’une brouette ! Il est vecteur de lien social direct », souligne avec enthousiasme le trentenaire, sollicité par la communauté de communes (CDC) de l’île d’Oléron qui voit dans cette initiative une solution originale pour sensibiliser les citoyens à la réduction des déchets. « Du fait de son insularité, notre territoire est particulier, il est comparable à un minimonde où l’on a conscience, plus que personne, de la finitude des choses, des surfaces, des ressources. Lorsqu’il y a vingt ans, les déchets étaient abandonnés sur les dunes et les marais, on a vite compris que cela ne pouvait pas tenir et on s’est sentis responsables », explique Joseph Hugues, directeur de la CDC.

    Même si, cette année, Nicolas n’a « jamais vu la plage aussi propre », il continue de pester en ramassant une poignée de mégots à l’aide d’une pince à déchets : « Le fumeur est fainéant ! » Malgré les cinq mille cendriers de poche distribués tous les ans sur les plages et la présence des poubelles, le zéro déchet n’est pas encore au rendez-vous. Canettes, bouteilles en plastique, bouchons, papiers, cordages, etc., au fil de la balade, les déchets viennent remplir les paniers fixés aux ânes. Ce matin-là, Nicolas et ses huit bénévoles en ramasseront plus de 8 kilos, qu’ils trieront pour le recyclage. « Participer au ramassage est une action citoyenne, et c’est encore plus sympa de le faire avec des ânes », confie Janine, la cinquantaine.

    En charge du nettoyage, de la sécurité et des aménagements touristiques des plages à la CDC, Édith Pavant explique : « On n’avait pas de solutions très satisfaisantes pour les microdéchets avec les pick-up qui parcouraient les plages pour les nettoyer. On s’est alors tournés vers les ânes, et pour sensibiliser les plus jeunes, nous avons couplé l’expérience avec des actions pédagogiques, en invitant des classes de primaire à venir à pied, en vélo ou en car pour participer au ramassage. » Chaque année, la collectivité collecte 25 tonnes de déchets sur le littoral, et ce sont en réalité les macrodéchets des activités professionnelles aquacoles, rejetés par la mer, qui forment le gros du contingent : bois traités, grilles, bidons…

    Ne pas tomber dans « l’écodépression »

    Sur cette île qui a su préserver un patrimoine sauvage, entre dunes, forêts et marais, la question des déchets fait désormais l’objet d’une attention particulière. La CDC encourage une politique globale en invitant citoyens, associations et professionnels à participer aux actions locales de prévention, réutilisation et recyclage de leurs déchets. Elle a, au fil des ans, multiplié les initiatives sur tout le territoire. « Avant de généraliser le tri sélectif sur l’île à la fin des années 1990, on triait déjà le verre depuis plus de cinquante ans », rappelle Joseph Hugues. Depuis 2007, la collectivité s’est, par exemple, lancée dans un programme de compostage. Tous les ans, des composteurs individuels sont distribués gratuitement pour que chaque foyer puisse gérer ses biodéchets, aux côtés des composteurs collectifs déjà utilisés dans de nombreux établissements insulaires (écoles, restaurants, campings…). Un projet de compostage de quartier pour ceux qui n’ont pas de jardin est également testé depuis 2019 : « Le but est que chaque foyer ait une solution de compostage, car nous avons évalué que plus de 30 % des contenus de la poubelle sont biodégradables », justifie Marianne Girard, chef de service à la régie Oléron Déchets.

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    Dans les communes de l’île, il n’est pas rare de croiser des poules dans les jardins. À l’instar des ânes, elles sont venues prêter main-forte aux insulaires. Capables d’ingérer près de 150 kilos de déchets organiques par an, sans compter la ponte quotidienne, ces galliformes sont un vecteur de sensibilisation « symbolique et qui fonctionne bien », note Marianne Girard. Lancée en 2015, l’opération « Roule ma poule » a permis d’offrir deux poules à chacun des cent-sept foyers engagés et de proposer un poulailler à prix réduit. « Il y a des éleveurs dans le territoire, une poule ne coûte pas cher et aujourd’hui, les gens s’équipent eux-mêmes, alors qu’avant la campagne, ils n’avaient pas forcément le réflexe, ajoute Joseph Hugues. Plutôt que de tomber dans “l’écodépression” liée aux graves problèmes environnementaux, nous faisons des choses positives et en nous amusant. »

    « En 2016, nous avons invité Jérémie Pichon, coauteur du livre Famille zéro déchet, pour inaugurer notre club Zéro déchet. Une fois par mois, nous proposons des ateliers pour faire soi-même des produits ménagers écologiques, des recettes antigaspi, des emballages réutilisables, du bricolage, etc. Chaque séance rassemble une vingtaine de participants, qui deviennent eux-mêmes des ambassadeurs en en parlant autour d’eux », précise Marianne Girard. Ateliers de sensibilisation, animations, campagnes de communication, supports pédagogiques, festival, journée écocitoyenne, ressourcerie… la collectivité propose de multiples solutions et accompagne de nombreux foyers au quotidien. À l’entrée des supermarchés et sur les marchés, des animations incitent les commerçants et citoyens à supprimer, ou du moins diminuer, les sacs – en plastique notamment –, en les remplaçant par des contenants réutilisables et des Tupperwares.

    Travailler avec les professionnels

    Accompagnée dans cette démarche par l’Ademe depuis 2010, l’île d’Oléron a reçu le label « Territoire zéro gaspillage, zéro déchet » en 2015, délivré par le ministère de l’Environnement. Cet appel à projets a désigné 153 territoires lauréats en France pour leur engagement et leur exemplarité à mobiliser l’ensemble des parties prenantes (citoyens, associations, collectivités, commerces, entreprises…). « Si nos premières campagnes sur les déchets étaient très axées sur les particuliers, nous avons dans un deuxième temps travaillé avec les professionnels tout en continuant nos actions avec les citoyens », explique Marianne Girard. Consciente que le tourisme – première économie locale – génère son lot supplémentaire de consommation et de déchets, l’île encourage les campings, les hébergements et les restaurateurs à suivre la démarche. Depuis 2013, une cinquantaine de sociétés ont participé à l’opération « entreprises témoins ».

    Une dynamique de coopération entre les acteurs locaux qui semble trouver un écho prometteur auprès de certains professionnels. « Une des raisons pour lesquelles nous nous sommes installés ici est que l’île était très en avance et en attente d’acteurs engagés sur son territoire “zéro déchet”. C’est très intéressant de travailler main dans la main sur ces questions », témoigne Sarah Aubin, propriétaire du restaurant De l’île aux papilles à Saint-Pierre d’Oléron. Formée à l’économie sociale et solidaire, la jeune femme a « tissé le fil » en travaillant en circuit court et en privilégiant les produits bio à 80 % : « Côté approvisionnement, tout ce qui peut exister en local, on le prend ! Produits de la mer, maraîchage, vin, élevage… Seuls les épices, le chocolat et les alcools viennent de plus loin ». Côté gestion des déchets : achats en vrac, réduction des emballages, compostage, récoltes et recyclage local des huiles usagées, coquilles d’huître et bouchons de liège, utilisation de serviettes en tissu, pailles en métal, etc. Grâce à tous ces gestes, Sarah Aubin estime que « la moitié, voire les trois quarts des déchets sont ainsi mieux orientés. »

    Discrètement niché au milieu d’une verdure, l’Écopôle de l’île propose, outre la gestion des gros volumes de déchets végétaux et de gravats, la vente de compost, paillis et granulats recyclés aux particuliers et aux professionnels. C’est aussi ici que, depuis 2007, Roule ma frite 17 gère les fruits de ses collectes locales de 40 tonnes d’huiles alimentaires professionnelles usagées par an. « Nous proposons également d’accompagner les restaurateurs dans la gestion plus globale de déchets, car ils sont parfois perdus, ils n’ont pas de relais ou ne pensent pas forcément à la démarche », explique Elsa Dujourdy, coordinatrice de l’association, qui anime aussi des actions pédagogiques auprès des scolaires et du grand public. Traitées sur place, les huiles sont notamment recyclées en biocarburant pour les camions de l’association.

    Explorer toutes les solutions

    Avec la généralisation de la redevance incitative, la communauté de communes espère aller plus loin. Le principe ? Ne facturer que les bacs à ordures ménagères présentés en fonction du nombre de levées, et maintenir la gratuité des poubelles de tri. Testée dans les campings dès 2012, « en distribuant des guides de tri, la tarification de la redevance incitative invite les professionnels et les citoyens à se préoccuper davantage des déchets, en les réduisant et en respectant les consignes », relève Marianne Girard.

    En dix ans, les ordures ménagères de l’île ont baissé de 17 % alors que la population augmente, et le tri a augmenté de 150 %. L’objectif étant d’atteindre une réduction de 20 % en 2020, sur une population totale de plus de 22 000 habitants à l’année, alors qu’en août on peut dénombrer près de 300 000 personnes en une journée. « Il y a encore beaucoup de travail. Mais c’est un challenge qui mérite d’être relevé, car il existe encore de nombreuses solutions », reconnaît Joseph Hugues.

    Aujourd’hui, l’île vit sa troisième phase d’engagement pour devenir un « territoire économe en ressources ». « Nous avons notamment des actions avec les acteurs du BTP, un secteur très générateur de déchets. Grâce à la plateforme de valorisation des gravats que nous avons créée, nous pouvons réutiliser le béton concassé pour les sous-couches routières par exemple », ajoute Marianne Girard.

    En sollicitant tous les acteurs locaux, l’île d’Oléron a réussi à se positionner parmi les pionniers des problématiques insulaires des déchets en France. À tel point que d’autres territoires comme la Corse, Belle-Île-en-Mer ou encore l’île d’Yeu s’en inspirent et que l’île de la Tortue dans les Caraïbes aimerait établir un jumelage avec sa consœur française. Un essaimage prometteur pour prendre le large avec les déchets !

    Pour aller plus loin

    www.cdc-oleron.com

    www.ademe.fr

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