Actions non-violentes : montrer que transformation personnelle et transformation sociale sont intimement liées

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    Sensibiliser à l’urgence climatique par la force de la mobilisation citoyenne. Tel est l’objectif du mouvement Alternatiba, né à Bayonne en 2013, sous l’impulsion de l’association basque Bizi. Tour de France en vélo, actions non-violentes, chaînes humaines de solidarité … En moins de quatre ans, cette organisation a porté une génération de militants du climat, déterminés à faire bouger les lignes. Sandra Blondel en a fait un documentaire enthousiasmant, Irrintzina. Rencontre.

     

     

    Comment avez-vous croisé la route d’Alternatiba ?

    Par le biais de la télé basque Kanaldude en 2014. L’association Bizi était invitée pour parler de ses actions, notamment d’une campagne lancée contre la Société Générale et son implication dans la mine de Charbon Alpha Coal prévue en Australie. Les militants avaient occupé et déposé du charbon devant la banque à Bayonne et cela avait porté ses fruits puisque la banque a abandonné le projet. Une action qui nous a vraiment interpellé, Pascal Hennequin (co-réalisateur d’Irrintzina) et moi. J’ai réalisé comment une poignée de militants pouvait créer un vrai rapport de force avec une aussi grande entité que représente la Société Générale. Puis en 2015, Bizi formait le premier village d’Alternatiba et le discours sur l’urgence climatique de Jon Palais, l’un des militants présents dans le film, m’avait remué. A partir de là, je ne les ai plus quittés.

    Aujourd’hui, Alternatiba a pris une ampleur considérable, comment expliquez-vous ce succès ?

    Il faut savoir qu’au tout début, les militants de Bizi étaient six… et aujourd’hui les villages des alternatives organisés par Alternatiba se comptent par centaine dans toute la France ! Leur force c’est de réussir à mettre les gens en mouvement par l’action. Et c’est ce qu’on essaye de raconter dans le film, c’est tout ce processus de mobilisation qui a été mis en place. Je pense aussi que l’idée de « village » est parlante. Tout le monde peut participer avec ses compétences que l’on soit électricien, chef cuisinier, couturière, etc. Chacun peut apporter sa pierre à l’édifice de manière très concrète. 

    C’est après le premier village à Bayonne qu’est née l’idée de faire un tour de France à vélo des alternatives …

    Oui, c’est sans doute l’initiative la plus spectaculaire du mouvement. Après ce premier village créé à Bayonne, d’autres groupes sont nés dans la foulée avec l’idée de relier tous ces groupes en faisant ce fameux tour, avec l’intention de générer une vraie dynamique nationale. C’était un pari fou pour Alternatiba. Les militants ont parcouru au total 5600 kilomètres en trois mois ! Même les constructeurs des bicyclettes ne savaient pas si les vélos pouvaient tenir. Mais ils ont réussi, avec une arrivée monumentale à Paris en septembre 2015

    L’arrivée d’Alternatiba à Paris quelques jours avant la COP21 après avoir parcouru 5600km à vélo (Crédit: Irrintzina.com)

    Comment s’est passé le tournage sur les routes ?

    Les conditions étaient parfois chaotiques. On a eu très peu de moyens. On les a suivis une partie en camion puis en vélo, c’était intense. On s’en est sorti grâce à un très belle entraide de groupe et avec beaucoup de détermination.

    À côté du tour de France réalisé à vélo, on voit dans le documentaire d’autres actions très ciblées d’Alternatiba qui peuvent même aller jusqu’à la confrontation…

    Oui en effet, Alternatiba a multiplié les actions non-violentes comme l’occupation de sièges d’entreprises ou de banques impliquées dans l’évasion fiscale. Ce mouvement des « faucheurs de chaises » a pris de l’ampleur jusqu’à la COP21 avec la mise en procès de Jon Palais, relaxé peu de temps après. La plus vive a sans doute était celle de 2016 avec le blocage du sommet du pétrole off-shore à Pau. Ce blocage de trois jours a pour moi fait évoluer les consciences sur l’action non-violente qui peut prendre différentes formes. 300 militants sont venus perturber le sommet en bloquant physiquement les entrées et faisant face aux bombes lacrymogènes des forces de l’ordre.

    Même la caméra résiste et devient presqu’une militante …  

    Oui tout à fait ! Le processus narratif a été construit de manière à être de plus en plus immergé avec le groupe. On démarre de manière très observationnelle, et progressivement la caméra devient elle- même actrice. Vers la fin, la caméra protège même les manifestants.

    Par le montage et la manière de filmer, on a également tenté de faire sentir l’engagement progressif qui a été le celui de Pascal Hennequin et moi-même. J’ai voulu montrer que transformation personnelle et transformation sociale sont intimement liées. Et à travers la voix off, j’ai essayé de raconter comment se répandent ces deux dynamiques.

    Blocage du sommet de Pau par une centaine de militants climatiques en avril 2016 (Crédit : Irrintzina.com)

    Le message du film est-il finalement de dire que plus on sera nombreux et organisés, plus on arrivera à construire ensemble le monde de demain ? 

    Exactement ! Et, en effet, l’organisation est primordiale. C’est la plus grosse force d’Alternatiba selon moi. Dans la méthodologie d’organisation des réunions, c’est vraiment hyper carré, la prise de parole est très bien partagée. J’ai deux enfants en bas âge, c’est compliqué de faire des réunions mais on trouve toujours si on s’organise bien. Depuis deux ans, le mouvement organise des « camps climats » l’été pendant une dizaine de jours. Le but est de proposer une formation à la désobéissance civile grâce un panel d’outils : stratégie non- violente, campagne, communication, médias activistes … C’est foisonnant !

    Je me souviens de l’appel des 15 000 scientifiques sur l’état de la planète il y a peu [13 novembre 2017] , avec un passage qui a retenu mon attention : « Grâce à un raz de marée d’initiatives organisées à la base, il est possible de vaincre n’importe quelle opposition aussi acharnée soit elle ». Donc oui, je souhaite réellement montrer à travers ce film que l’on a un réel pouvoir de faire changer les choses.

    Espérez-vous que le documentaire soit un élément déclencheur de l’engagement citoyen ?

    Ce serait une victoire. Des gens qui sont venus au camp climat nous ont dit : « On est venu parce qu’on a vu votre film », cela fait énormément plaisir. Il nous manque peu de choses, c’est dans notre système de pensée, et ce film peut, je l’espère, faire bouger l’imaginaire. Ce documentaire est un souffle où l’on s’imprègne de la vitalité que dégagent et impulsent les militants d’Alternatiba. « Irrintzina » est un cri ancestral basque. C’est à la fois un cri d’alarme et un cri de joie pour dire que « oui c’est possible » !

    Propos recueillis par Maëlys Vésir (@MVesir )


    Note : un prochain tour de France des alternatives à vélo est prévu de juin à octobre 2018 de Paris à Bayonne cette fois-ci, à vos vélos !


    Pour voir le documentaire, ne ratez pas notre Ciné Kaizen du 14 décembre :

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