« Se réapproprier nos destins avec le revenu de base »

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    Le revenu de base est entré en force au cœur du débat politique. Il est devenu une fracture idéologique ente ses promoteurs et contempteurs. Le journaliste Olivier Le Naire et sa fille Clémentine Lebon, ingénieure agronome, ont enquêté pour trier le grain de l’ivraie. Dans un livre pédagogique Le revenu de base, une idée qui pourrait changer nos vies (Actes sud, 2017), ils proposent une réflexion sur ce sujet complexe. Entretien avec Olivier Le Naire.

    Dans votre cheminent intellectuel, vous partez d’un a priori plutôt négatif sur le revenu de base pour finalement vous laisser convaincre par cette idée. Quels éléments vous ont invité à ce changement ?

     

    revenu de base
    Olivier Le Naire

    Avant d’écrire ce livre, j’étais plus dubitatif que négatif sur le revenu de base. Mais, préoccupé par les questions touchant à la citoyenneté, à la précarité et aux inégalités, j’ai pensé que cela valait la peine d’enquêter en profondeur pour voir si cette utopie pouvait devenir réalité. Et surtout si elle pouvait vraiment nous aider à trouver des réponses à nos problématiques actuelles : celles d’un monde de plus en plus global, de plus en plus virtuel, où le travail se fait plus rare et où la misère ne cesse d’augmenter. Cette enquête, réalisée avec ma fille Clémentine Lebon, nous a convaincus que le revenu de base, s’il est bien compris et bien appliqué, pourrait effectivement nous mettre sur la voie des solutions. Mais cela suppose auparavant de clarifier ce débat complexe que les médias et les politiques ont jusqu’ici plutôt embrouillé. D’où notre livre qui se veut clair, pédagogique, et surtout honnête.

    Quels sont les avantages, selon vous, du revenu de base ? Et ses limites ?

    Son principal atout est de nous forcer à mettre sur la table les questions taboues de cette campagne présidentielle : celle des limites et des finalités de la croissance, de la révolution fiscale, du partage du travail, des inégalités criantes, de la crise écologique. Surtout il nous incite, du moins dans sa version ambitieuse, à prendre en main nos vies et nos destins au lieu de nous tourner sans cesse – et en vain – vers l’État pour savoir ce que nous pouvons et devons faire. Il faut bien comprendre que les États seront de plus en plus défaillants. Et que, faute de travail pour tous, il va bien falloir, comme l’explique Edgar Morin, inventer une nouvelle civilisation ou se résoudre à la barbarie. Seul problème : le revenu de base est un concept subtil et multiforme qui ne supporte pas la caricature ou l’à-peu-près. Cela n’a aucun sens de se prononcer pour ou contre cette idée tant que l’on n’a pas défini auparavant de quelle forme de revenu de base on parle. D’où la nécessité d’un gros travail d’explication : c’est d’ailleurs l’objet du parcours pédagogique que Clémentine et moi avons réalisé sur le site des Colibris. Et de la série de rencontres auxquelles nous participerons à Paris et en province avec ce mouvement.

    En quoi le revenu de base changerait nos vies et le rapport au monde ?

    Si l’on parle du revenu de base ambitieux que nous préconisons dans notre livre, il permettrait d’en finir avec la misère et la précarité, de dire non aux jobs précaires, de réinvestir les petites villes et villages de ce pays, de décorréler le revenu du travail, de favoriser la transition écologique. Mais surtout, encore une fois, de nous réapproprier nos destins.

    Les opposants craignent, entre autre, la fin de la valeur travail, une remise en cause du système de sécurité sociale qui atténue en partie les préjudices de la loi du marché ; ces craintes sont-elles fondées ?

    Cela dépend de la vision du revenu de base que vous défendez et des moyens que vous y mettez. Mais il est sûr que pour certains libertariens, cela pourrait être l’occasion, si l’on n’y prend pas garde, de tuer l’État providence en nous donnant une sorte de solde de tous comptes. Heureusement, cette conception-là reste très minoritaire en France. À nous de défendre la vision que nous souhaitons, puisque le revenu de base n’appartient à personne, à aucune idéologie, aucune chapelle. Il sera ce que nous, les citoyens, en ferons. Concernant la valeur travail, contrairement au RSA qui diminue dès que l’on reprend une petite activité, le revenu de base, lui, est cumulable avec d’autres revenus. Dans ces conditions, qui se contenterait de 500 euros ou même de 800 euros mensuels pour vivre ? Peu de gens.

    Le revenu de base regroupe un éventail de modalités selon les « courants », pour autant son financement est-il crédible et pour quelle somme ?

    Dans sa version la plus modeste (environ 500 euros par mois distribués à tous de manière inconditionnelle) le revenu de base pourrait devenir assez rapidement une réalité, s’il y a derrière une volonté politique. Il faudrait pour cela – les simulations le montrent – enfin réaliser une ambitieuse réforme fiscale et réorienter la création monétaire. Aujourd’hui, cette création monétaire est le seul privilège des banques ou des États, et non des citoyens. Du coup, en 2008, nos gouvernants n’ont eu aucun mal à trouver 1000 milliards d’euros en quelques semaines pour sauver les banques. Et les mêmes nous expliquent ensuite qu’ils sont incapables de débloquer quelques millions pour secourir des SDF en hiver. Il faut en finir avec ce scandale ! Concernant la réforme fiscale, elle consisterait à individualiser l’impôt sur le revenu, qui serait payé dès le premier euro avec un taux de prélèvement unique (ou flat tax) à 23 % sur les revenus du travail et du capital. Si l’on en croit les études du très sérieux économiste Marc de Basquiat, 8 Français sur 10 seraient gagnants, et 2 sur 10 perdants, sans que ces derniers soient pour autant étranglés financièrement. Au-delà de 500 euros, le revenu de base sera, en revanche, autrement plus complexe à mettre en place en quelques années seulement.

    Justement, comment mettre en place le revenu de base ?

    Selon nous, le revenu de base ne doit pas seulement avoir pour objectif de redistribuer les richesses ou d’éradiquer la pauvreté, mais de donner les outils matériels et intellectuels pour permettre à chacun de trouver sa propre réponse de vie face aux révolutions et aux défis de ce 20e siècle. Or se prendre en main, changer son rapport au travail, s’affranchir des logiques que l’on nous a inculquées depuis des siècles suppose plusieurs choses. D’abord que ce revenu de base soit à terme d’un montant suffisant pour vivre, soit au minimum 800 euros (tout en gardant, bien sûr, la sécurité sociale, l’assurance chômage et les retraites). Que d’importants moyens pédagogiques aident les citoyens à vraiment choisir leur voie avec cette somme, afin de ne pas la dilapider de manière futile. Pour nous, le principal obstacle au revenu de base est donc culturel bien plus que financier. Autant dire qu’il ne s’imposera que progressivement, et s’il y réussit, ce revenu de base-là ne trouvera son plein effet qu’en plusieurs décennies, voire plusieurs générations. Surtout si l’on part du principe que si ce revenu n’est pas, à terme, élargi au minimum au niveau d’un continent (par exemple l’Europe), il ne marchera pas. Tout cela peut sembler un peu désespérant, mais on ne change pas de mode de civilisation en un jour. Alors raison de plus pour nous y mettre tout de suite !

     

    Entretien réalisé par Pascal Greboval


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    Lire aussi : Comment instaurer le revenu de base, cette allocation qui séduit 60 % des Français

    2 Commentaires

    1. Bonjour, ce que je trouve intéressant avec le revenu de base, c’est de pouvoir lier nos besoins et droits fondamentaux avec revenu rattaché à la personne et non conditionné à un travail.

    2. Non, la promesse d’un revenu universel proposé par vous (et quelques autres) n’est pas la proposition sympathique et progressiste qu’elle prétend être !
      Il s’agit bien plutôt d’une capitulation en rase campagne devant la coercition néolibérale. Elle rend les armes sans arguments ni combat face à l’eugénisme imposé par le paradigme dominant actuel : aux hyperqualifiés minoritaires – sélectionnés par le système de la globalisation mondialisée – les hauts revenus, les postes prestigieux, les ponts d’or. À la majorité, le sous-emploi assisté, et aux récents immigrés les jobs sous-payés et l’exclusion du système !
      Le principe d’une aide de base généralisée revient de fait à ne rien remettre en cause des paradigmes en place depuis 1 siècle au moins, ceux-là même qui nous précipitent vers un collapsus de plus en plus probable.
      L’exemple des aides européennes et nationales à nos agriculteurs devrait nous inciter à y réfléchir à 2 fois ; le fiasco dans ce domaine est quasi-total, avec une répartition qui a bénéficié en premier lieu aux grosses exploitations. Elle a insidieusement dépouillé les petits paysans de leur autonomie et de leur dignité, les poussant au suicide et laissant les instances nationales impuissantes s’engluer dans un décompte dramatique et obscène.

      La fracture sociale que valide ce revenu universel installe de fait une double contrainte : la spoliation de toute légitimité et dignité du citoyen déclassé ; le ferment à terme d’une rébellion s’exprimant soit par l’économie parallèle, soit par les exactions et le banditisme ; voire les deux, se trouvant mêlés par un tropisme naturel.
      Or, comment garantir la viabilité et la pérennité d’une société dont la majorité serait passée dans une clandestinité plus ou moins obligée (avouée ?) ?

      Car ce bricolage idéologique et technocratique va se heurter de front, d’une part à l’effondrement de la finance mondiale (les prémices sont déjà en place) ; d’autre part à la raréfaction et au renchérissement des matières rares et des énergies fossiles (pétrole en tête) qui vont imposer un remaniement complet de nos organisations économiques et sociales.
      Or les nouvelles technologies numériques et robotiques, y compris celles nécessaires pour les énergies renouvelables, se trouvent curieusement friandes et hautement dépendantes de tous ces ingrédients…

      Le scénario que vous défendez présente ainsi les caractéristiques improbables des augures de nos pythies économiques, qui se sont trompées à peu près sur tout jusqu’ici. Comme dirait l’autre, c’est même à ça qu’on les reconnait !
      Cette persistance à ignorer somptueusement toute composante du Vivant (influences climatiques, environnementales, pic pétrolier, pollutions diverses, diminution catastrophique de la diversité des espèces, préséance des réalités invisibles) ne pouvant entrer dans l’entonnoir de leurs algorithmes. Avec la prétention exorbitante de s’affranchir du Réel pour constituer LA science du futur.
      Notre unique salut consistera au contraire à ne plus les croire !

      Avant toutes choses, c’est notre représentation du Réel qui est en crise, et donc le sens de notre aventure terrestre. On ne s’en sortira pas par du bricolage, fut-il à connotation universelle…

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