Un tribunal international pour préserver
    la nature

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    En parallèle de la COP21, s’est tenue, du 4 au 5 décembre 2015, la troisième édition du Tribunal international des droits de la nature. À la barre : des peuples indigènes, des experts et des personnalités, défenseurs du caractère sacré de la Terre. Gouvernements et entreprises ont été jugés par contumace. Compte-rendu d’audience.

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    © Thomas Masson

    À l’initiative de l’association GARN (Global Alliance for the Rights of Nature), le Tribunal international des droits de la nature a pour volonté d’instaurer un cadre juridique international pour protéger les écosystèmes et de qualifier toute infraction à la Déclaration universelle des droits de la Terre comme un crime d’écocide.

    Dans cette optique, elle a organisé la troisième édition de ce tribunal, qui s’est déroulée à la maison des Métallos, à Paris, un ancien haut lieu d’actions politiques de résistance. C’est dans ces murs que près de 65 plaignants, de 32 nationalités et 7 langues différentes, ont plaidé pour une justice environnementale.

    Rituel naturel

    Pour replacer la Terre au centre des débats,  des cérémonies chamaniques inaugurent le procès. Trois femmes, représentantes du peuple Kichwa de Sarayaku (Équateur), font brûler dans un bol une matière blanche. Le but est de

    « retirer toutes les ondes négatives, de donner de la force et de rendre hommage à la Terre qui souffre »

    explique l’une d’elles dans sa langue natale, le quechua.

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    Représentantes du peuple Kichwa de Sarayaku et cérémonie dédiée aux quatre directions, menée par des femmes du peuple Ponca. © Thomas Masson

    Casey Camp-Horinek, militante des droits des peuples autochtones et environnementaliste, et trois autres femmes du peuple Ponca (Oklahoma, États-Unis) saluent les quatre directions. Ce rituel est effectué pour relier entre elles toutes les personnes de la salle, pour prendre conscience du moment présent et pour invoquer de la bienveillance. Elles rendent hommage aux quatre points cardinaux, puis au Haut et Bas. Elles effectuent ce rituel en faisant brûler de l’encens au parfum d’aiguilles de pin.

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    Casey Camp-Horinek prend ensuite la parole devant un auditoire de près de 250 personnes : « Je vous vois, je reconnais vos esprits. Nous ressentons tous de la peine. Il est temps pour l’humanité de se remettre en question, de faire des efforts. En ce moment, nous ne méritons peut-être pas d’être sur Terre. Nous essayons de dominer alors que la planète est sacrée et qu’elle prend soin de nous. La Terre-Mère est généreuse ; elle est toujours avec nous. Mais nous oublions cela. Nous sommes là pour nous rappeler son existence, pour évoquer ses droits et pour prôner sa défense, dans une voie positive. C’est peut-être le moment pour l’humanité de ne former qu’un, de s’apercevoir que toute forme de vie possède un esprit. Oui, c’est une bonne chose que nous soyons là ce matin. »

    Plaidoiries

    Après ces rituels, le tribunal entre en session. Les plaignants, de José Bové au chef Kayapo (Brésil) Raoni Metuktire, tiennent un discours poétique sur la planète. Ils parlent d’une « Terre vivante »,  d’un « organisme vivant » et d’une « Terre-Mère ». Les cours d’eau, forêts, sols et êtres vivants sont décrits comme sacrés et animés d’esprits.

    Et, quand vient le moment de dénoncer les crimes perpétrés contre la nature, les critiques sont acérées. Les plaintes portent sur les énergies fossiles, la déforestation, la privatisation et la pollution de l’eau, les accords de libre-échange, le nucléaire, les mines d’extraction, la financiarisation de la nature, l’expulsion de populations de leurs terres, etc. Les plaignants évoquent alors une nature « bafouée et exploitée », une planète « en crise » et un « état d’urgence climatique ». Toutes les personnes venant à la barre pointent du doigt l’irresponsabilité des gouvernements et des entreprises.

    Pablo Solón (Bolivie, Fundación Solón) dénonce « la folie du capital et du pouvoir ». David Kureeba (Ouganda, Global Forest Coalition and Friends of the Earth) demande aux gouvernements d’arrêter de vendre des concessions aux entreprises et de laisser les communautés locales reprendre le pouvoir de décider. Maxime Combes (France, Attac) suggère de « supprimer l’article 3.5 de la Convention-cadre des Nations unies sur le changement climatique qui sacralise le commerce international, aux dépens de mesures écoresponsables ». Il qualifie ensuite les industries fossiles – privées et publiques – « d’ennemies no 1 de la nature et d’adversaires de l’humanité ». S’appuyant sur des études, il demande de laisser au moins 80 % des énergies fossiles dans le sol. Desmond D’Sa (Afrique du Sud, SDCEA) parle d’une industrie pétrochimique ayant une « soif du gain » et considérant la Terre comme « un jouet ». Sous des applaudissements nourris, il affirme que « le temps de se rassembler, de ne faire qu’un, est venu ».

    Maude Barlow (Canada, The Council of Canadians) parle d’une « eau trop exploitée et polluée » et clame qu’elle ne doit plus être considérée « comme un bien marchand », mais comme « un cadeau divin ». Tony Clarke (Canada, Polaris Institute) regrette que la nature soit considérée comme du « capital » et un « organisme mort ».

    Sentences

    À l’issue des deux jours de plaidoiries, les juges font part de leurs délibérés. La première de leurs recommandations est de faire en sorte que le Statut de Rome (adopté en 1998 par 120 États, préalable à la constitution de la Cour pénale internationale – CPI) rende possible la poursuite des responsables de crimes d’écocide devant la CPI (officiellement entrée en fonction en 2002, elle a le pouvoir de juger les crimes internationaux : contre l’humanité, de guerre et les génocides).

    Le gouvernement équatorien est tenu responsable des actes de criminalisation de défenseurs de la nature. Le tribunal a condamné les chantiers des barrages du Belo Monte et du Tapajós. Les juges ont déclaré que le cas Chevron (déversement de milliards de litres de pétrole à ciel ouvert, en Équateur et au Brésil) « est l’un des pires cas d’écocides jamais perpétrés en Amazonie » et qu’une « justice restauratrice doit être appliquée sans délais ». D’autres cas ont été « ouverts » et seront traités lors de la prochaine édition du Tribunal international des droits de la nature (il se tiendra au Maroc ou à La Haye).

    Ce tribunal était avant tout symbolique. Les plaignants ont exposé leurs plaintes devant des juges acquis à leur cause. Et les bancs des accusés étaient vides : pas de présence des entreprises et des gouvernements incriminés et aucun avocat n’a assuré leur défense, ni déposé des éléments pour prouver leur innocence.

    De leur côté, les 195 pays participants à la COP21 ont signé, le 12 décembre 2015, la Convention-cadre sur les changements climatiques. L’article 7.5 (page 28) stipule ceci : « […] L’adaptation [aux effets néfastes du changement climatique] devrait suivre une démarche impulsée par les pays […] prenant en considération les groupes, les communautés et les écosystèmes vulnérables, et devrait tenir compte et s’inspirer des meilleures données scientifiques disponibles et, selon qu’il convient, des connaissances traditionnelles, du savoir des peuples autochtones et des systèmes de connaissances locaux, en vue d’intégrer l’adaptation dans les politiques environnementales pertinentes, s’il y a lieu. »

    Si mince soit l’entrebâillement, une porte est ouverte aux justiciers de la nature.

     

    Thomas Masson

     


    Lire aussi : Bilan sans concession de la COP21

    Lire aussi : Quel climat nous attend demain ?

    1 COMMENTAIRE

    1. bonjour,
      pour ce qui me concerne, je suis dans cet état de colère lié au chagrin.
      j’ai le sentiment que la grande masse de gens refuse de regarder la situation pour ce qu’elle est.
      pas de catastrophisme me dit-on…mais durant la denière guerre n’est-ce pas déjà le refus de voir qui a amené les individus à ignorer la gravité d’un port d’étoile rose ou jaune, d’un regroupement par « race » par « utilité »…
      et les gens qui aiment les enfants continuent à en faire comme si on pouvait sans égoïsme forcené (le refus de voir est un égoïsme) souhaiter mettre sur terre des enfants que l’on aime dans un monde en extinction (la 6ème….)
      comment peut-on continuer à croire que demain sera comme aujourd’hui, un grand supermarché ou le capitalisme se nourrira sans jamais manquer (quid des pays pauvres qui eux n’ont déjà pas grand chose)…
      en vérité, je fais ma part de colibri autant que je peux mais je ne sais comment apaiser mon chagrin même si « demain » le film me confirme qu’il y a des solutions encore possibles ; comment faire pour que les yeux s’ouvrent ?
      faudra-t’il, comme d’habitude atteindre le point de non retour ?
      belle année 2016

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