Une autre forêt est possible

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    Entre une forêt sauvage où l’homme n’aurait pas sa place et une forêt exploitée sauvagement où la biodiversité n’existe plus, il existe bien des alternatives. Rencontre avec des sylviculteurs qui font rimer écologie et économie.

    Un homme et des chevaux. Dans cette futaie de chênes au sol gras située au pied du Jura, les machines ne passent pas. Avec Roy et Lisa, un solide Comtois et une jument Trait du Nord, Florent Daloz extrait de la forêt des billes de bois. « L’animal permet de travailler avec précision, sans abimer le sol, ni les arbres voisins qui n’ont pas été coupés. Sur une pente rude, un bord de rivière ou une zone naturelle protégée, le cheval est irremplaçable », explique-t-il. Ce savoir-faire ancestral est en train de renaître : la France compte une quarantaine de débardeurs à cheval. Au sein du groupement Débardage cheval environnement, Florent en réunit une quinzaine avec lesquels il monte des équipes pour aller chercher du bois. Des professionnels, convaincus, comme lui, qu’une autre gestion forestière est possible. « On ne prélève que ce que la forêt peut supporter. Le recours au cheval revient un peu plus cher, mais ce surcoût est largement compensé par la préservation du milieu. Sur le long terme c’est plus intéressant, car le patrimoine forestier est sauvegardé. »

    Patrimoine. Le mot est essentiel pour comprendre comment fonctionne une forêt, et pourquoi la politique actuelle qui vise à la transformer en usine à bois fait fausse route. « Une parcelle forestière se gère a minima sur 50 ans. On profite des arbres plantés par les générations précédentes et on pense aux générations futures en laissant les jeunes s’épanouir. On gère un stock vivant », précise Nicolas Luigi, animateur du réseau Pro Silva France. Cette association regroupe des forestiers qui travaillent en tenant compte du rythme naturel des arbres. « On laisse vieillir sur pied, on cherche à produire en priorité du bois d’œuvre pour des charpentes, des planches, des meubles… Pour le bois de chauffage, on utilise les coupes d’éclaircie ou le bois mort sur pied. Une vraie forêt doit abriter des essences variées et des arbres de taille et d’âges différents. Une monoculture composée d’individus du même âge abattus tous le même jour n’a aucun sens. Car une fois coupée à blanc, une parcelle ne rapporte rien pendant des décennies. En prélevant ponctuellement du bois en quantité limitée, les revenus au contraire sont réguliers et plus importants. Et la forêt conserve son rôle de filtration des eaux, de stabilisateur des sols et de protection de la biodiversité. »

    L’arbre qui cache la forêt

    Ce discours sensé reste malgré tout isolé. La France, pourtant, est un pays de forêts. Elles couvrent plus du quart du territoire, soit 16 millions hectares, une surface en augmentation constante depuis 1850 (source IGN). Ce qui la place au quatrième rang européen derrière la Suède, la Finlande et l’Espagne. La forêt française est aux trois-quarts privée, le reste appartient à l’Etat et aux communes et est géré par l’ONF. Cette forêt privée est très morcelée, avec 3,8 millions de propriétaires, qui pour beaucoup possèdent moins d’un hectare et ne s’en occupent pas. Ce morcellement est présenté comme un handicap par la filière bois qui affiche une balance commerciale déficitaire. « Mais c’est aussi une vraie protection qui permet encore d’échapper à une exploitation industrielle lourde et destructrice », estime Rémy Boget, animateur à la Frapna. Les feuillus (chêne, hêtre, charme, frêne, châtaigner) sont majoritaires alors que la demande est forte sur les résineux à croissance rapide (épicéa, pin, sapin). Toutefois passer à la monoculture de résineux, abattus tous les quarante ans par coupe rase comme dans les Landes, prototype de la forêt artificielle, serait une grave erreur. Il manque en France une réflexion collective sur la gestion durable du patrimoine forestier pour :

    – valoriser les innombrables apports écologiques de la forêt,

    – protéger les arbres à croissance lente et à forte valeur ajoutée,

    – relocaliser l’économie du bois,

    – réorganiser la filière de transformation en circuits courts.

    « Le discours officiel est à la protection de la forêt, mais la réalité est différente. Le monde de la finance fait pression sur les propriétaires forestiers pour gagner rapidement de l’argent. Des investisseurs rachètent des parcelles privées pour développer des programmes de bois énergie par exemple. Or, faire pousser des arbres dans le seul but de les brûler est aberrant. Des projets de chaufferie surdimensionnés fleurissent partout. Dans dix ans, on ne pourra plus les approvisionner localement. » Gaëtan du Bus, fondateur du Réseau pour les alternatives forestières (RAF) sait de quoi il parle. « Je suis formateur en BTS gestion forestière. A la sortie de l’école, les jeunes prennent une claque. Il y a un fossé entre la forêt dont ils rêvent et celle d’aujourd’hui, gérée par des spéculateurs à court terme. C’est un milieu où l’on parle chiffres, productivité et mécanique. La machine a remplacé l’homme. Un seul technicien derrière une abatteuse peut raser un hectare par jour ! Vous imaginez les dégâts sur le terrain et sur le plan humain ? Les forestiers sont de plus en plus seuls. Et leurs horaires de travail s’allongent à mesure que leur métier perd du sens. » Gaëtan du Bus a créé le RAF pour redonner sa vraie dimension à la sylviculture, cette discipline qui consiste à orienter une forêt pour obtenir un bois de qualité avec une vision à long terme. Il prône une gestion douce, dans le respect de l’arbre et des générations à venir.

    Prélever en douceur

    « On peut tirer profit d’une forêt sans nuire à son développement, reprend Nicolas Luigi de Pro Silva. Nous ne prélevons que de petites quantités – jamais plus de 25 % du capital – par coupes jardinatoires tous les quatre à douze ans selon l’état de la parcelle. Il faut conserver un couvert permanent, laisser du bois mort au sol pour produire de la biomasse et privilégier la repousse spontanée. Dans certains lots on n’intervient pas du tout, pour protéger les biotopes fragiles », poursuit-il. Pro Silva fait de l’écologie, pas de la philanthropie. La forêt est envisagée comme un capital à préserver et à faire fructifier. L’Association Futaie Irrégulière qui gère de façon durable une centaine de parcelles test en France, en Suisse, au Luxembourg et en Belgique, a relevé un revenu moyen de 150 €/an à l’hectare et des recettes trois à quatre fois supérieures aux dépenses. « Il ne faut pas céder aux sirènes des commerciaux qui tournent dans les campagnes pour le compte des grosses chaufferies et des papeteries. Dernièrement, un petit propriétaire ardéchois a accepté de couper un hectare contre 1 000 euros. Son beau bois a fini en pâte à papier. Il aurait pu gagner autant en vendant quelques arbres à un menuisier – et il aurait toujours sa forêt au lieu d’une parcelle nue. Les artisans ont de plus en plus de mal à s’approvisionner en bois local », estime Anne Berthet, chargée de mission forêt au sein du collectif Relier.

    © Anne Berthet RAF

    Une filière locale

    Voilà pourquoi Rémy Escalle, menuisier ébéniste en Ardèche du sud a fondé en 2011 l’association Bois d’ici, qui vise à recréer un circuit court. « Nous avons tout sur place. Du bois de qualité, des professionnels compétents et des clients intéressés, explique-t-il. En 50 ans, nous sommes passés d’un usage paysan où chacun coupait son arbre en fonction de ses besoins à une vision quasi minière de la forêt. Les artisans sont contraints de s’approvisionner sur des marchés extérieurs alors que nous avons des essences locales comme le châtaigner et le pin maritime à valoriser. » L’association qui va passer en Scic regroupe une trentaine de personnes représentant l’ensemble de la filière : propriétaires forestiers, gestionnaires, bûcherons, débardeurs, élagueurs, transporteurs, scieurs, charpentiers, architectes et particuliers. Elle commence à intéresser les élus qui y voient une source d’emplois non délocalisables. Pour sa première opération, Bois d’ici a acheté un lot de pins douglas détériorés par une tempête. Le volume annoncé était de 60 m3, mais le débardeur à cheval en a sorti 100 m3 en manipulant les bois en finesse : il y a eu moins de déchet. Les troncs ont été transportés chez un scieur local. Malgré un prix élevé (380 €/m3 scié), la traçabilité a permis de trouver preneur. Les poutres débitées seront utilisées sur un chantier ardéchois. Au final, le bois aura parcouru moins de 100 km, toutes opérations confondues. Une association des communes forestières vient de se monter dans le département. Objectif : intégrer le bois local dans la commande publique pour maintenir les emplois. La boucle est bouclée.

    Un réveil citoyen

    Rémy Escalle n’en est pas moins conscient de l’énorme travail de sensibilisation qu’il reste à accomplir auprès du public. « Si l’on n’est pas connaisseur, la forêt française est toujours aussi belle, sauf qu’elle possède moins de vieux arbres. On la maintient à l’état adolescent. Celle de Chambon a rajeuni de 150 ans en l’espace de vingt ans ! » observe-t-il. Pour éviter ce phénomène, l’association Autun Morvan Ecologie a créé le Groupement forestier pour la sauvegarde des feuillus du Morvan. En Bourgogne, les forêts ancestrales qui fournissaient du beau bois d’œuvre sont remplacées depuis les années 60 par des monocultures de résineux. « On appauvrit les sols, déjà acides à la base. A ce rythme, dans un siècle, le pin douglas ne pourra plus pousser sans engrais », prévient Lucienne Haes, vice-présidente du groupement. Les 475 associés ont acquis 216 hectares de forêts de feuillus à préserver. Un réveil citoyen encourageant dans un milieu forestier très fermé. « Dire que la forêt française va bien n’est pas encore complètement faux. Mais c’est une manière d’éviter de se poser des questions sur l’avenir, conclut Gaëtan du Bus. On hérite aujourd’hui des belles parcelles plantées par nos aînés il y a plus d’un siècle. Mais nous sommes en train d’abîmer les bois de 2050 ! L’arbre nous oblige à penser à demain. »

    Par Stéphane Perraud


    Les multiples services de la forêt

    « La forêt produit du bois, mais aussi de l’eau de qualité grâce à son pouvoir filtrant. Elle protège contre le ruissellement, l’érosion et les glissements de terrain. Elle maintient la fertilité naturelle des sols. Elle est source de biodiversité. Elle stocke du carbone, oxygène l’atmosphère et elle est récréative », énumère Erwin Dreyer, président du centre INRA de Nancy-Lorraine. « Mais aujourd’hui, seule la vente de bois permet de dégager des revenus. C’est un problème. Les arbres permettent pourtant de réaliser des économies sur le traitement de l’eau et ils fixent 10 à 15 % du CO2 de notre pays. Il faudrait pouvoir valoriser tout cela. La taxe carbone ne pourrait-elle pas bénéficier aux forêts par exemple ? On ne raisonne qu’à travers le prisme de l’économie alors que le véritable enjeu est écologique. » Une étude réalisée en 2009 par le Commissariat général à la stratégie et à la prospective chiffre la vraie valeur de la forêt à 1 000 euros l’hectare. Or la vente de bois représente au mieux 15 % de ce montant…


    Forêts d’ici et d’ailleurs

    Les forêts occupent 31 % de la surface des terres émergées, soit plus de quatre milliards d’hectares. Selon la FAO, la déforestation se produit à un rythme alarmant en Amérique du Sud, en Afrique et en Océanie (13 millions d’hectares par an, soit pratiquement l’équivalent de la forêt française). La forêt européenne, elle, est en augmentation, mais 20 % des arbres seraient en mauvaise santé. En France, elle se porte plutôt bien, même si l’INRA relève l’apparition de nouvelles maladies. Notons au passage que les arbres résistent mieux dans les forêts mélangées. Pour juger de la valeur d’une forêt, on utilise le volume sur pied. En France, il est de 162 m3/ha, proche de la moyenne européenne, mais loin derrière la Suisse, la Slovénie, l’Autriche ou l’Allemagne avec 300 m3/ha. Un chiffre à relativiser, car si ces pays gèrent bien leurs forêts, ils importent du bois d’Europe de l’Est où la monoculture, la coupe rase et les bas salaires sont de mise. Cela déplace seulement le problème.

    Autre sujet d’inquiétude : quelles conséquences aura le réchauffement climatique sur les arbres (et ceux qui en vivent) dans les prochaines décennies ? On commence à voir des essences méditerranéennes migrer vers le nord lors de repeuplements spontanés.


    Article publié dans le Kaizen n° 10 de septembre-octobre 2013. Dossier : pourquoi a-t-on besoin des arbres ?


    Lire aussi : L’être humain ne pourrait pas vivre sans arbres

    Lire aussi : Le livre « La Vie secrète des arbres »

    5 Commentaires

    1. Petit erratum: la surface couverte par la forêt française est de 16 millions d’ha et non de 16 000…
      Votre article est hélas très partisan: il y a des futaies régulières où la biodiversité existe. Tous les peuplements ne peuvent être traités en futaie irrégulière. La gestion est défini en fonction de la structure et de la composition des différentes forêts. Le forestier et le propriétaire ont leur mot à dire et des objectifs à fixer; et ce n’est pas pour cela qu’ils vont ruiner leur patrimoine. Merci en tout cas de vous intéresser à la forêt!
      Bien sincèrement
      Didier R-B (Expert Forestier)

    2. coper du bois, pourquoi, pour quelles « economies, des palettes a usage unique, des maison « écolos » ultra énergivores dues aux nombreuses transformations, transports et autres idées loufoques qui font sous entendre que sans »modernisme » rien ne pourrait fonctionner, revenons aux fondamentaux, le partage et la passion de la vie….

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