Alors que plusieurs espèces d’abeilles sauvages sont menacées de disparation, la start-up BeeGuard a mis au point des technologies d’aide aux apiculteurs et à la recherche pour la protection des abeilles.
En 30 ans, 80 % des insectes ont disparu avec au premier plan les abeilles sauvages dont 40 % des espèces sont aujourd’hui menacées de disparaître. À cela s’ajoute la mortalité des abeilles d’élevage qui atteint 30 % chaque année alors que son taux naturel ne devrait pas atteindre les 5 %.
« S’il y avait qu’une seule cause à l’origine de ce taux de mortalité, on aurait peut-être pu surpasser ce problème ou du moins pu l’encadrer. La problématique des abeilles, c’est quelque chose de beaucoup plus systémique et complexe », affirme Christian Lubat, fondateur de BeeGuard, spécialisé dans la surveillance, la mesure et l’analyse du domaine de la santé des abeilles.
Entre dérèglement climatique, monoculture, urbanisation, appauvrissement des sols, mais encore virus et parasites, les causes de fragilisation des abeilles sont nombreuses, les conséquences catastrophiques. Selon l’INRA et le CNRS 35 % de la production mondiale de nourriture dépend de la pollinisation alors que pour 80 % des espèces végétales, la pollinisation est vitale à leur survie.
Pour Henri Clément, ancien apiculteur, porte-parole de l’UNAF (Union Nationale de l’Apiculture Française), la disparition progressive des abeilles est une catastrophe : « Quand on parle d’abeilles, on parle d’environnement, on parle d’apiculture, on parle d’alimentation, on parle de santé humaine. »
Même si l’apiculture peut-être parfois synonyme d’élevage intensif et de maltraitance animale, comme le montre l’enquête L’apiculture, un élevage intensif comme un autre ?, (lire numéro 57 de Kaizen Magazine), cette activité est indispensable à la survie des abeilles et à la préservation de l’équilibre de notre écosystème.
Des technologies d’aide aux apiculteurs
À l’aide d’une application développée par Beegard, les éleveurs d’abeilles peuvent suivre l’évolution de l’activité de leurs ruches heure par heure grâce à une présence de multi capteurs installés dans ces dernières. « On peut permettre d’augmenter la vision de l’humain sur l’activité des abeilles, sur leur état de santé, et cela, avec une vision journalière », affirme le fondateur de BeeGuard.
Le premier capteur, interne à la ruche, permet de surveiller sa température d’hygrométrie et donc de savoir à quelle fréquence les pontes ont lieu en sachant que pour arriver à la naissance d’une abeille, les pollinisateurs se doivent de réguler la ruche à 34 degrés C° précisément.
À ceci, s’ajoute un capteur présent sous la ruche qui mesure la variation de son poids et peut ainsi imager le rendement du butinage. Une variation positive annonce qu’elles sont en phase de récolte, une variation négative montre que le butinage n’a pas été possible ou suffisant pour se nourrir auquel cas ils ont consommé une partie de leur réserve.
Le dernier capteur est une station météo ultra-localisée permettant de voir en temps et en heure le microclimat de leur environnement et donc de savoir si un butinage sera possible ou plus complexe et si de la nourriture de substitution sera nécessaire ou non. « Les agriculteurs se déplacent régulièrement pour contrôler l’activité de leurs abeilles, mais s’organisent en fonction de leur calendrier. Avec notre solution, ils s’organisent en fonction de l’activité de leurs ruches et sont plus efficaces », soutient Christian Lubat.
Des innovations pour avancer
Dès 2022, Beegard commercialisera un système vidéo placé sur la planche d’envol des ruches, capable de compter les allés venus des abeilles. Ce comptage donnera un aperçu journalier du taux de mortalité des pollinisateurs de la colonie, sur les périodes où les décès sont les plus nombreux et quand les recherches de nourriture sont plus complexes.
Ces récoltes d’information permettront aux apiculteurs de semer des graines en période creuse plutôt que de compenser la biodiversité en nourrissant directement la ruche. Par ce biais, ils vont non seulement contribuer à la santé des abeilles, mais également générer de la nourriture pour tout l’écosystème environnant. Cet outil servira également au CNRS en facilitant leurs recherches et en automatisant leurs mesures. Notamment sur l’impact que peuvent avoir certaines molécules sur leur mortalité à l’image du dernier rapport qu’ils avaient publié à propos des conséquences directes sur les abeilles qu’ont les anciens sites de mine d’or pollués à l’arsenic.
Un projet d’analyse du comportement des abeilles devrait également voir le jour ces prochaines années dont le but est de déterminer les éléments déclencheurs de stress pour elles. « Les abeilles ont la particularité d’avoir un cerveau d’un million de neurones. Elles en ont une utilisation très forte notamment pour la mémorisation et l’apprentissage, elles sont capables de parcourir 10 km et de revenir à leur ruche qui fait 50 cm par 50 cm ! Mais c’est également leur faiblesse, elles utilisent tellement leur cerveau que dès qu’elles sont au contact d’éléments stressants, elles perdent une partie de leurs capacités. Le problème, c’est que la perte de leur capacité à s’orienter est presque inévitablement synonyme de mort pour elles », affirme le créateur de BeeGuard.
L’idée est donc d’analyser le comportement des abeilles face à certains stimuli visuels et d’en dégager un indicateur de cognition en sachant que les abeilles se guident uniquement grâce aux couleurs de leur champ visuel. Cette technologie permettrait ainsi d’aller vers l’anticipation de la mortalité une fois que les causes auront été étudiées.
Fort de cette innovation et de la volonté de généraliser ses produits à l’international, , BeeGuard a lancé une cagnotte citoyenne pour développer ses recherches et son implantation, qui s’élève aujourd’hui à 4 014 ruches équipées.
Une dimension politique indispensable
« BeeGuard a des qualités, mais ça ne peut pas faire inverser la tendance. Sans décisions politiques courageuses, rien ne changera », certifie le porte-parole de l’UNAF.
Les enjeux environnementaux liés au dérèglement climatique et à l’utilisation de produits physio-sanitaires ne peuvent pas être accomplis sans l’intervention des pouvoirs publics. La santé des abeilles en dépend, mais celle de toute une biodiversité également. Le problème ? Leur inaction. « Il est grand temps que les pouvoirs publics se détachent des lobbies et prennent les décisions qui s’imposent. Toutes les décisions prises ces 25 dernières années sont vraiment marginales et ne s’attaquent pas au cœur du sujet. Pour donner un exemple, on a des plans de réduction des pesticides depuis 2008 ; on n’en a jamais consommé autant qu’aujourd’hui. Ça montre bien que ça ne fonctionne pas et la cause principale, ce sont les lobbies, en particulier ceux des produits physio-sanitaires », conclue Henri Clément.
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