Verdir les villes grâce aux déchets

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    Lorsque notre assiette se remplit, la poubelle du restaurant aussi. Pour valoriser les biodéchets, Les Alchimistes font partie de ces entreprises qui contribuent à les transformer en ressource. Au sein de ses centres franciliens, elle produit un compost local. Pour le plus grand bonheur des sols urbains, ce qui appartient à la terre, revient à la terre.

    Triés à la source dans les entreprises, les déchets arrivent au centre des Alchimistes prêts à être compostés / ©Laura Remoué

    Il est 9h et Amadou, stagiaire, revêt sa cote de travail grise et bleue. Sous le hangar, il comptabilise le nombre de poubelles qui débordent de déchets alimentaires (pommes, pain, poulet…), pour les approcher ensuite d’une série de machines qui mène vers l’extérieur. Au bout de la chaîne, les aliments sont devenus des tas de composts, destinés à retourner à la terre.

    Installé à L’île-Saint-Denis (93), au nord de Paris, le site des Alchimistes, collecte, depuis 2017, les biodéchets[1] auprès de 25 entreprises de restauration et d’hôtellerie, dans un rayon de 5 à 10 kilomètres. Grâce aux 600 tonnes[2] de déchets organiques ramassés dans l’année au sein des quatre centres franciliens, 150 tonnes de compost sont produites.

    Pour réaliser son compost, l’entreprise élimine l’eau des déchets par compressage et leur apporte du carbone en les mélangeant à des copeaux de bois. Le tout entre dans un composteur électromécanique, où il reste en maturation pendant une quinzaine de jours. Brassé régulièrement, il se transforme grâce à des bactéries et une température élevée. Ce système a pour contrepartie une consommation électrique que le co-fondateur Alexandre Guilluy souhaite ne pas dépasser celle d’un foyer, sur une année[3].

     

    La chaîne de machines fonctionne de droite à gauche avec d’abord le tri, le compressage, puis dans le grand contenant le mélange avec des copeaux de bois / ©Laura Remoué
    Amadou, stagiaire aux Alchimistes, surveille la température et le brassage des aliments, entrés en phase de maturation dans le composteur / ©Laura Remoué

     

    Mesurer la quantité de déchets pour mieux la réduire

    A l’intérieur des bacs attendant d’être compostés, des sacs plastiques débordent. Amadou découvre dans l’un d’eux des pots de yaourt. A côté de lui, Alexandre Guilluy, co-fondateur de l’entreprise, constate : « Il s’agit d’un nouveau client qui, manifestement, ne trie pas encore correctement. »  Même si le cas de ce nouveau client est rare, la plupart des entreprises possèdent « 3 étoiles » pour évaluer leur qualité de tri à la source. « Nous appliquons une note sur la qualité du tri parce qu’elle va influer sur la facturation », explique Alexandre Guilluy.

    Comme Amadou,  chaque « alchimiste » pèse les bacs un à un, pour ensuite reporter leur poids dans une application sur mobile, afin d’évaluer le tri pour chaque entreprise. « Nous transmettons ces données aux clients chez qui nous avons collecté ces déchets, explique Alexandre Guilluy. Car pour certains, cela a permis de réduire sensiblement le gaspillage alimentaire ».

    Après seulement trois mois de collecte par les Alchimistes, la quantité de biodéchets d’un hôtel Campanile à Paris est passée par exemple de 80 à 50 kilogrammes par semaine, grâce à la détermination de sa directrice, Elisabeth Bernard. A 63 ans et une carrière touchant presque à sa fin, celle-ci regrette de « ne pas avoir fait grand-chose » pour la planète avant cette initiative.

    Pour réduire encore plus le gaspillage, elle aimerait supprimer les buffets « à volonté ». « C’est un terme obsolète, c’est fini », affirme-t-elle. La planète n’en peut plus de cette notion, je lui préfère celle « avec modération » ».

    Après maturation dans le composteur, la nouvelle ressource reste en extérieur. De gauche à droite, les tas sont répartis du plus récent au plus ancien / ©Laura Remoué

     

    Nourrir les parcelles urbaines

    Une fois compostée, la matière retrouve la terre de l’agglomération parisienne. Dans la capitale, le compost des alchimistes a recouvert les parcelles des « permis de végétaliser »[4] de plusieurs arrondissements, ainsi que de la Safranière, une ferme urbaine de safran, installée au cœur de la ville sur le toit d’un supermarché. « Nous recevons en réalité trop de demandes par rapport à ce que nous produisons actuellement », confie le co-fondateur des Alchimistes.

    Si Amadou est considéré comme « collecteur-composteur », c’est parce qu’ici, chacun participe à la fois à la tournée de ramassage, comme à la transformation des déchets. « Nous pensons qu’il est très différent de simplement rendre service en collectant des déchets, et de participer à leur revalorisation. La fabrication d’un produit est valorisante pour celui qui le crée », explique Alexandre Guilluy.

    L’impact des décisions publiques sur les entreprises privées

    Depuis une circulaire en date de 2012, la loi française oblige les entreprises productrices de plus de dix tonnes de biodéchets par an à les valoriser à la source, c’est-à-dire les trier et s’assurer qu’ils retournent au sol. L’Etat souhaitait atteindre les objectifs fixés par le Grenelle 2 de l’environnement en 2010 qui visait, en outre, 75% de recyclage de déchets non dangereux.

    Certains clients des Alchimistes ont néanmoins opté délibérément pour le compost, sans que la loi ne les y contraigne. Cette méthode de traitement des déchets est pour eux plus onéreuse que les techniques traditionnelles[5], mais Alexandre Guilluy parie sur une augmentation future de la taxe sur les activités polluantes, qui renversera le coût fiscal de chacune des pratiques.

    Pour élargir les activités de compost, Les alchimistes collaborent aujourd’hui avec un laboratoire du CNRS à Lyon. Leur objectif ? Composter les couches culottes, dont ils éliminent les parties négatives – de plastique, de chlore – et conservent les déchets organiques. Après avoir remporté un appel à projet, les chercheurs vont pouvoir passer en phase d’expérimentation grâce à la collecte des couches dans dix crèches parisiennes.

    Il est presque 11h désormais et une camionnette revient de sa tournée. Amadou est rejoint par ses collègues. Les composteurs s’activent, trient à la main les déchets sur le tapis vert, pour redonner vie aux déchets. Un cycle vertueux qu’ Alexandre Guilluy aimerait voir essaimer « sur tout le territoire français », y compris en Outre-Mer avec un site à La Réunion.

    Une collecte vient d’être déchargée dans le hangar et Amadou prend en note le contenu des poubelles / ©Laura Remoué
    Avant d’être compostés, les déchets sont triés à la main / ©Laura Remoué

     

    Par Laura Remoué


    Pour en savoir plus :

    Site des alchimistes https://alchimistes.co/

    Présents dans sept centres en France métropolitaine, en région parisienne, à Toulouse, Lyon et Toulon.

    Une entreprise concurrente en région parisienne, Moulinot, ajoute une étape à son processus de compost : l’affinage. Plus de 500 000 lombrics sont utilisés par l’entreprise, rajoutant 120 jours avant la finalisation du compost. « La valeur temps est très importante et l’a toujours été » insiste Stéphane Martinez, fondateur de Moulinot et ancien cuisinier.

    En savoir plus sur les biodéchets grâce à l’Observatoire citoyen sur les biodéchets, une initiative de l’association Zero Waste.

    [1] Tout déchet d’origine végétale ou animale

    [2] Cet écart est dû notamment au fait que les déchets organiques sont majoritairement composés d’eau, éliminés en début de processus de compostage.

    [3] Il précise néanmoins ne pas disposer de chiffres exacts sur la consommation énergétique, du fait de leur statut de locataires, qui ne leur permet pas de bénéficier d’un compteur individuel pour le moment.

    [4] Les permis de végétaliser sont des parcelles d’espace public, sur des trottoirs parisiens ou dans des jardinières, accordées à des citoyens par la mairie de Paris pour y installer des espaces de jardinage. (https://www.paris.fr/permisdevegetaliser)

    [5] L’enfouissement et l’incinération sont les méthodes classiques de traitement des déchets


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